Excalibur
que les navires finissent par s’évanouir tout
à fait dans l’air blanchi, « et hwaet pour ton amante que tu hwaet sur le sol ». Le son semblait venir de nulle part, puis il se dissipa à
son tour ainsi que les bruits d’éclaboussures de leurs rames.
Deux des
hommes d’Aelle hissèrent leur seigneur sur son cheval. « As-tu dormi ?
me demanda-t-il lorsqu’il se fut installé sur sa selle.
— Oui,
Seigneur Roi.
— J’avais
mieux à faire, dit-il sèchement. Suis-moi. » Il frappa des talons les
flancs de son cheval qui suivit le rivage, là où les petits ruisseaux se
ridaient et disparaissaient dans le sable, aspirés par la marée descendante. Ce
matin, en l’honneur du départ de ses hôtes, Aelle avait revêtu le harnois
royal. Son heaume de fer était garni d’or et couronné d’une crête de plumes
noires, son plastron de cuir et ses longues bottes étaient teints en noir, sa
longue cape noire en peau d’ours apetissait son grand palefroi. Une douzaine de
ses hommes nous suivaient à cheval, et l’un d’eux portait son enseigne, le
crâne de taureau. Aelle, comme moi, chevauchait difficilement sur le sable. « Je
savais qu’Arthur t’enverrait, dit-il et, comme je ne répondais pas, il se
tourna vers moi. Alors, tu as retrouvé ta mère ?
— Oui,
Seigneur Roi.
— Comment
est-elle ?
— Vieille,
dis-je avec sincérité, vieille, grosse et malade. »
Il soupira. « Ce
sont d’abord des jeunes filles si belles qu’elles pourraient briser le cœur de
toute une armée, et après deux ou trois enfants, elles deviennent vieilles,
grosses et malades. » Il se tut, pensif. « Je ne sais pas pourquoi,
je pensais que cela n’arriverait jamais à Erce. Elle était très belle, dit-il
avec une tristesse rêveuse, puis il sourit. Mais, les Dieux en soient
remerciés, ce ne sont pas les jeunes qui manquent, hein ? » Il rit,
puis me jeta un autre coup d’œil. « Dès l’instant où tu m’as dit le nom de
ta mère, j’ai su que tu étais mon fils. » Il fit une pause. « Mon
premier né.
— Votre
premier bâtard, dis-je.
— Et
alors ? Le sang, c’est le sang, Derfel.
— Et je
suis fier d’avoir le vôtre, Seigneur Roi.
— Et tu
dois l’être, mon garçon, même si tu le partages avec pas mal d’autres. Je n’ai
pas été avare de mon sang. » Il gloussa, puis engagea son cheval sur un
banc de boue et le cingla pour qu’il gravisse la pente glissante jusqu’à l’endroit
où une flottille était échouée. « Regarde-les, ces bateaux, Derfel !
dit mon père, en tirant sur les rênes, regarde-les ! Ils semblent
inutiles, maintenant, mais presque tous sont arrivés cet été, bourrés d’hommes
jusqu’aux plats-bords. » Il frappa des talons les flancs de sa monture et
nous passâmes lentement devant la triste rangée de navires immobilisés.
Il y en avait
peut-être quatre-vingts ou quatre-vingt-dix sur le banc de sable. D’élégants
navires dont la poupe se recourbait comme la proue, mais qui tous tombaient en
ruine. La vase verdissait leurs bordages, leurs sentines étaient inondées et la
pourriture noircissait leur bois. Certains, qui devaient être là depuis plus d’un
an, n’étaient plus que de sombres squelettes. « Soixante hommes sur
chaque, Derfel, dit Aelle, au moins soixante, et chaque marée en amenait d’autres.
Maintenant que les tempêtes hantent le large, ils ne viennent plus, mais on en
construit et ceux-là arriveront au printemps. Pas seulement ici, Derfel, mais
sur toute la côte ! » Il fit un geste qui embrassait le rivage
oriental de la Bretagne dans sa totalité. « Des navires et des navires !
Tous pleins de nos gens, qui cherchent un foyer, une terre. » Il proféra
ce dernier mot avec violence, puis détourna son cheval du mien sans attendre de
réponse. « Viens ! » cria-t-il, et à sa suite, je franchis la
boue d’un ruisseau que ridait la marée, remontai un banc de galets puis,
passant entre des buissons épineux, gravis la colline que couronnait le grand manoir.
Aelle réfréna
sa bête sur un épaulement où il m’attendit, puis lorsque je l’eus rejoint, il
me désigna en silence un col, en bas. Une armée s’y tenait. Je ne pus les
compter, tant il y avait d’hommes rassemblés dans ce repli de terrain, qui, je
le savais, ne constituaient qu’une partie de l’armée d’Aelle. Cette grande
foule de guerriers saxons, quand elle vit son roi se découper sur le ciel, fit
éclater un
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