Fatima
d’Abu Talib. Le vieil oncle était au plus mal. Il réclamait la tante Kawla et son fils Ali.
Ali hésita et chercha l’approbation de Muhammad. Fatima vit la paume de son père se poser tendrement sur la nuque du garçon.
— Va, dit-il. Va et tiens-lui la main.
Ali tourna alors son regard vers Fatima. Un regard intense, aussi scintillant, semblait-il, que le bitume grésillant des torches. Un regard qui paraissait la supplier. Surprise, Fatima frissonna. Ali esquissa même un geste vers elle, mais se détourna aussitôt et quitta la cour en courant, Abdonaï et le grand serviteur noir derrière lui. Ashemou les suivait en soutenant Kawla avec l’aide d’un esclave de la maison d’Abu Talib.
Quand la porte bleue se referma sur eux, Fatima et Muhammad demeurèrent silencieux. Puis Fatima leva le visage vers son père. Il sourit, lui prit le bras avec douceur et lui retira le bâton qui lui servait de canne. Avec légèreté, il dit :
— C’est moi, ta canne.
Il la tint serrée contre lui, l’entraînant doucement jusqu’au seuil de sa chambre. En soulevant la portière de tissu, il dit encore :
— Je sais que ton coeur est plein de questions. Et que tu as peur que ton père se trompe. Tu as raison. Il faut toujours chercher où est le bon chemin et ne pas se satisfaire d’illusions. Il reste encore un petit moment avant que le soleil ne se lève. Dors et sois sans crainte. Allah le Clément veille sur nous. Et moi, je suis en sécurité, car je sais que toi aussi tu veilles sur moi.
Il s’interrompit, plissa les paupières et ajouta :
— Quand même, il te faut vite guérir ta cheville, car tu n’as pas fini de monter aux troncs des palmiers pour espionner nos ennemis.
Et il rit. D’un rire si tendre que Fatima oublia toutes les tristesses et les tourments qui lui ployaient la nuque depuis des jours.
De sommeil, cependant, ils n’en eurent guère.
Le ciel s’illumina d’un coup. Une nouvelle journée commençait. Ali fut de retour en compagnie de Bilâl. Abdonaï, qui l’accompagnait, avait l’air soucieux. Ali, lui, était si fort en proie à la révolte qu’il ne parvenait plus à respirer et se tordait les mains de rage.
— Abu Lahab, ce frère puant de mon père ! s’écria-t-il. Il est venu chez nous avant que la nuit ne soit achevée. Il s’est fait ouvrir les portes comme si elles étaient celles de sa propre maison. Yâkût al Makhr marchait à son côté, repoussant les serviteurs en braillant : « Place au maître, place au maître !» Ils sont entrés dans la chambre de mon père. Sans même le regarder, sans s’agenouiller ni lui prendre la main, sans lui dire un mot, comme on le fait d’ordinaire avec ceux qui partent, ce fléau d’Abu Lahab a demandé : « Est-il mort ?» Comment supporter pareille insulte ? J’ai dit : « Il est vivant, et moi, son fils, Ali ibn Talib, je déclare que tu n’as rien à faire ici, toi qui l’as assassiné. »
Ali se releva, frappa le sol du pied.
— Imaginez-vous ! Ce chien du désert a ri ! « Toi, tu n’es plus son fils ! Tu lèches la sandale de Muhammad le Fou et tu craches sur les dieux de Mekka. Tu n’es pas encore un homme, et déjà tu blasphèmes contre notre sainte Ka’bâ. Sors de cette maison ! Elle ne te reconnaît plus et ta vermine souille mon frère Abu Talib. » Voilà ce qu’il a hurlé devant tous, les femmes de mon père, les servantes et les yeux clos du mourant. Yâkût, ce serpent pourri, m’a jeté hors de la chambre comme si je n’étais qu’une paille.
La fureur et les larmes nouaient la gorge d’Ali quand il reprit :
— Abu Lahab, la face toute luisante, a crié encore : « Sois content que je ne t’écrase pas sous ma semelle comme la fiente d’une chauve-souris ! Cette maison n’est plus la tienne. Si ton pied se pose dans cette cour, on te le coupera. Et pour l’enterrement de mon frère, je ne veux pas voir ton ombre ni entendre ta voix cracher tes blasphèmes ! Fils mauvais, tu n’empoisonneras pas le voyage de ton père vers le paradis d’Hobal et d’Al’lat avec tes menaces d’enfer. C’est moi, Abu Lahab Abd al Uzzâ Abd al Muttalib, qui le promets. À partir de ce jour, je suis celui qui dit la loi des Hashim, et tu peux en avertir ton cousin à la langue pleine d’épines. »
Ali se tut, à bout de souffle. Muhammad avait à peine froncé le sourcil en l’écoutant. Il se tourna vers Abdonaï et Bilâl.
— Ali dit vrai,
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