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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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manger chez les domestiques.
    —    Vous pouvez passer une heure à vous amuser à mes dépens, cela ne me fait rien. Mais au moment de leur apporter le prochain service, regardez un peu le visage des enfants.
    Subitement plus songeuse, la cuisinière déposa une portion d'un excellent rôti devant la jeune femme, prit place de l'autre côté de la vieille table et mangea un moment en silence. N'y tenant plus, elle déclara bientôt:
    —    Elle n'a pas toujours été comme cela. Enfant, elle était rieuse, tout à fait charmante. Tenez, un peu comme Edouard. Mais après le couvent... On aurait dit un jouet dont le ressort était cassé.
    Elisabeth se dit que la vie de pensionnaire ne pouvait certainement pas seule expliquer un changement si profond de la personnalité. Il ne servait cependant à rien de soupeser quelque hypothèse que ce soit quant aux causes d'une pareille métamorphose.
    —    Vous avez travaillé chez ses parents ?
    —    J'étais déjà cuisinière là-bas au moment où elle est née. Elle était toujours fourrée dans mes jupes. Quand elle s'est mariée, je faisais partie de la dot, en quelque sorte.
    Cela avait tenu à un revers de fortune des parents de l'épousée : tout en rendant service à leur gendre, ils se débarrassaient d'un salaire.

—    Et monsieur Gros jean ?
    —    Napoléon ? Il travaille pour les Picard depuis qu'il a huit ans. Au début, il conduisait la charrette de Théodule, au moment où celui-ci livrait du lait de maison en maison.
    Pendant quelques minutes, la cuisinière évoqua les années 1860, au moment où le ménage Picard, farouchement déterminé à réussir, touchait à diverses entreprises commerciales.
    Puis abruptement, elle changea de sujet:
    —Je voulais faire un peu de raccommodage tout à l'heure, mais je ne trouve plus mon panier.
    —    Il a servi à effectuer un sauvetage discret. Vous le récupérerez dans ma chambre au moment de monter mettre votre maîtresse au lit.
    L'autre ne répondit rien. Les domestiques vivaient dans l'intimité de leurs maîtres, rien de leurs vies ne pouvait échapper à leur attention. Les péripéties des étrennes d'Eugénie devaient être connues dans la cuisine, et même dans le petit logis de Napoléon Grosjean, au-dessus de l'écurie construite au fond de la cour.
    Un peu avant huit heures, alors que les deux femmes buvaient leur thé en silence, Thomas Picard vint demander:
    —Joséphine, ma femme se sent fatiguée. Elle a besoin de vous pour monter.
    L'homme demeura immobile à l'entrée de la pièce le temps nécessaire pour que la vieille femme s'extirpe de son siège et se rende dans la salle à manger.
    —    C'est aussi pénible que cela? souffla Elisabeth en réponse au regard désespéré que lui adressait son employeur.
    —    Pire encore, croyez-moi. A quatre-vingt-dix ans, les enfants se souviendront de ce souper de Noël.
    —    À moins que lui succèdent des expériences plus terribles encore.
    Son employeur posa sur elle des yeux catastrophés, puis il murmura encore plus bas :
    —    Quand elle aura dégagé l'escalier, vous irez coucher les enfants. Ensuite, je vous implore de me tenir compagnie un moment...
    La jeune femme acquiesça d'un signe de la tête.
    La maison de chambres de la rue Grant prenait elle aussi un petit air festif le jour de Noël. Dans un coin du petit salon, une crèche occupait entièrement la surface d'une crédence. Dans la salle à manger, un sapin de trois pieds de haut environ se trouvait placé au beau milieu de la table. Une initiative peut-être pas si heureuse, car les convives devaient se tordre le cou afin de voir les personnes en face d'eux. Seule la veuve Giguère, assise à une extrémité de la table, pouvait facilement parler avec chacun.
    Au souper, deux locataires, des employés de la gare du Canadien Pacifique, manquaient à l'appel. Profitant de tarifs avantageux, ils avaient pris le train afin de se rendre dans leur famille. En conséquence, le rôti préparé par la propriétaire des lieux faisait les délices d'une assemblée un peu réduite. À gauche de la table, Marie Buteau mangeait en devisant avec un employé des douanes poli et bien élevé; à droite, la modiste faisait de même avec un serre-frein tout aussi convenable.
    Au moment de quitter la pièce après le dessert, la jeune secrétaire se rendit jusqu'à la porte du petit salon où chacun allait prendre place, mais au lieu d'entrer pour

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