Favorites et dames de coeur
rapprocher, était morte à l’âge de treize ans. N’ayant su s’opposer à la volonté d’un des plus galants rois de France, peut-être Jean de Laval admit-il, en son for intérieur, que les frasques de sa femme avaient grandement facilité sa carrière. Avec le temps, il s’en était probablement fait une raison. Homme de confiance du souverain en Bretagne, il menait une vie diplomatique active et tenait table ouverte ; par sa conversation élevée, Françoise demeurait une hôtesse incomparable et pouvait en imposer à tous.
La mère de Jean de Laval vivait avec eux et ne se gênait pas pour juger sévèrement l’inconduite de sa bru. Celle-ci essayait d’oublier ces querelles ; elle secondait son mari dans l’accomplissement des devoirs de sa charge et les travaux de modernisation du château. Mais Françoise, exilée à Châteaubriant, se languissait de François, toujours prisonnier ; grâce à l’intermédiaire de Marguerite d’Alençon, elle put correspondre avec le roi qui se morfondait à Madrid, et qui lui envoya ces vers désabusés (septembre 1525) :
L’esprit est à toi. Pour le corps, pourriture
Quand, de te voir, j’ai perdu l’espérance…
Elle fut ainsi informée des pourparlers de paix et de la libération du roi. Mais, trop sûre d’elle-même et de l’amour qu’elle croyait encore lui inspirer, elle commit une grave erreur d’appréciation. Or, Louise de Savoie avait résolu sa perte par un moyen simple et dénué de scrupules : susciter l’intérêt du roi pour une jeune beauté peu farouche, aussi intelligente que Françoise et assez ambitieuse pour tenir la dragée haute à cette dernière. Son choix s’arrêta sur Anne d’Heilly de Pisseleu, l’une de ses demoiselles d’honneur, blonde Picarde de dix-huit printemps ; elle demanda à sa fille Marguerite d’évoquer Mlle d’Heilly dans ses missives au monarque prisonnier. Alléché, d’autant que sa captivité madrilène avait éprouvé sa santé, sevré de jolies femmes, lui qui les appréciait tant, François exprima le désir d’apprendre quelques détails sur cette inconnue. Louise de Savoie les lui transmit avec une joie secrète que l’on imagine bien, avant de réunir la cour à Bordeaux pour la libération de son fils (mars 1526).
François y eut l’agréable surprise d’être accueilli par la jolie demoiselle d’honneur de sa mère, qui lui débita avec grâce les compliments d’usage pour sa libération. Il pensa que le teint clair et la blonde toison d’Anne de Pisseleu le changeaient de sa brune favorite aux cheveux noirs ; il était ferré. Du reste, celle-ci ne se trouvait pas à la cour : les absents ont toujours tort. Prévenue de son infortune par quelque âme charitable, Françoise se hâta de revenir, persuadée que le roi l’aimait toujours. Espoir déçu : il l’accueillit avec affection, sans plus ; Marguerite d’Alençon paraissait plutôt gênée, tandis que le sourire « mielleux » de la reine mère dissimulait mal sa victoire. Françoise comprit qu’Anne de Pisseleu était LA rivale qui mettrait tout en œuvre pour la supplanter. Même le roi facilita la tâche de la jeune fille, lassé d’une favorite trop amoureuse, plus assez « piquante », dont il connaissait les artifices ; ses trente-deux ans ne pouvaient rivaliser avec les dix-huit de l’intruse. Les rois qui s’ennuient cherchent à se distraire : Anne était fine, intelligente, spirituelle et suffisamment amusante pour dérider le roi, rompre d’avec ses habitudes et le faire revivre après sa pénible captivité.
La lutte des favorites dura deux ans, mais l’issue était prévisible. Dans une lettre au roi, Françoise se moqua de la fadeur et du peu de tempérament supposés des femmes à la peau claire :
Blanche couleur doit être méprisée,
Blanche couleur est à sueur sujette,
Blanche couleur n’est pas longuement nette.
[…]
Ce qui est froid est contraire à nature :
Donc blancheur nous est fort bien contraire.
Furieux de voir ses goûts sexuels tournés en dérision, François I er tourna une réponse vengeresse à Françoise, où il lui reprochait son ingratitude et son désir de régenter constamment sa vie. Sa lettre se terminait brutalement :
Dont pour le temps qu ’ avec toi j’ai passé, Je peux bien dire : Requiescat in pace !
La disgraciée volontaire
Choquée, Françoise se précipita à Angoulême pour exiger de lui une explication franche. N’aimant pas les
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