Fidel Castro une vie
l’Est, la rumeur est à son comble.
Or, c’est la maladie de Fidel, dans le climat enfiévré de l’été 1960, qui a contribué à la propagation de rumeurs de divergence. Au demeurant, Raúl Chibás, ancien trésorier du M-26, qui vient de se réfugier aux États-Unis après avoir été démis de son poste de directeur des chemins de fer, déclare : « Au début, quand la Révolution a commencé à suivre une ligne communiste, j’ai cru que c’était le fait de Raúl et Guevara. Maintenant, connaissant Fidel, je suis persuadé que c’est aussi sa politique. »
Cette fièvre conduit à la mémorable journée du 7 août. Au stade de La Havane, devant cinquante mille personnes, dont les délégués du congrès de la Jeunesse latino-américaine, Fidel et Raúl, alternant leurs voix en raison de l’épuisement du
Lider,
donnent lecture de la liste des entreprises américaines nationalisées en fonction de la « loi » de juillet. Compagnies de l’électricité et du téléphone, United Fruit, pétrolière Sinclair, filiales de la Texaco et de la Standard Oil, trente-six plantations et les raffineries de sucre : il y en a pour sept cent cinquante millions de dollars – les trois quarts des avoirs yankees dans l’île. Les conditions de remboursement sont draconiennes : des bons d’État à cinquante ans, portant 2 % d’intérêt. Une annexe annule d’ailleurs l’hypothèse même d’un dédommagement : les États-Unis ne seront remboursés que si leurs achats de sucre annuels dépassent trois millions de tonnes et s’ils les paient au-dessus du cours mondial. Trois jours durant, La Havane défiledevant des cercueils posés sur les marches du Capitole et portant chacun le nom d’une compagnie nationalisée.
L’escalade n’est pas tout à fait achevée. Le 18 octobre, Washington impose un embargo sur ses exportations à destination de Cuba – à l’exception des aliments et des produits pharmaceutiques. Ponctuellement, Fidel répliquera en nationalisant les cent soixante-six dernières sociétés à capitaux américains de l’île : parmi elles, les mines de nickel de Nicaro, les grands magasins Woolworth et Sears Roebuck and Co., la General Electric, Westinghouse, International Harvester, Remington Rand, Coca-Cola – le gotha du capitalisme yankee, pour un montant d’environ deux cent cinquante millions de dollars. La guerre économique s’achève faute de combattants !
Mais les adversaires se pourfendent encore devant l’opinion internationale. Washington veut traduire La Havane devant l’Organisation des États américains (OEA) en tant qu’instrument « du plan mondial de subversion communiste ». La Révolution, pour sa part, entend attaquer son adversaire devant les Nations unies. C’est, finalement, devant l’OEA qu’aura lieu la joute. Son résultat, la deuxième quinzaine d’août, au Costa Rica, est incertain : la « menace d’ingérence de puissances extracontinentales » dans les affaires des Républiques américaines est dénoncée par dix-huit des vingt et un États de l’OEA. Mais Cuba n’est pas nommée dans la résolution finale. Son bouillant chancelier, Raúl Roa, claque la porte.
En réponse à cette « déclaration de San José », Fidel mobilise « un million de personnes » (trois cent mille, selon les agences, cinq cent mille, selon
Le Monde
). Le 2 septembre à La Havane, il s’ensuit un étonnant « dialogue » entre le chef et la foule. « Dans le cas où notre île serait envahie par des forces impérialistes, accepteriez-vous l’aide soviétique ? », demande Castro. De centaines de milliers de gorges monte ce cri : « Oui, oui, oui », scandé pendant cinq minutes. Fidel déclare alors que le peuple « constitué en assemblée générale » a approuvé. Il poursuit en lisant un texte connu comme La « première déclaration de La Havane » – datée de « Cuba, territoire libre d’Amérique » –, une image qui deviendra cliché. Puis il fait approuver par la foule l’établissement de relations diplomatiques avec la Chine : une première sur le continent. Et avec tous les pays socialistes : une rareté.
Il reste encore à Castro à solenniser à la face du monde sa nouvelle position internationale. Où le faire de façon plus explicite qu’aux Nations unies ? En 1960, l’ONU célèbre « l’année de l’Afrique », hommage aux quinze nouveaux États du continent noir admis cet automne… Le lieu est bon aussi : en terre américaine, à New
Weitere Kostenlose Bücher