Fidel Castro une vie
ferait pas de tournée à l’intérieur du pays durant la dizaine de jours de son séjour. L’heure est à la raison, non plus aux élans. Le
Lider
n’aura qu’une seule occasion de s’adresser à un public : une rencontre avec des ouvriers dans une usine de la banlieue de Moscou.
Les entretiens officiels sont nombreux et cordiaux, à en juger par le geste du Cubain posant son bras sur l’épaule de Kossyguine. Les honneurs ne lui sont pas ménagés, tel l’ordre de Lénine. Les observateurs notent un long entretien avec des amiraux et généraux soviétiques, en présence du ministre Gretchko : ceci est consonnant avec l’effort soviétique d’aide à la modernisation des FAR. Brejnev explique à son hôte les mérites du traité Salt I de limitation des armes stratégiques qu’il vient de signer avec le président américain Richard Nixon. Le chef du Kremlin a une jolie formule : « Nous sommes pour l’effacement des distinctions de classes entre les pays. » L’admission, le 11 juillet, de Cuba au Comecon, l’avatar économique du bloc socialiste, sera la conclusion de ce voyage.
Le second déplacement à Moscou sera entrepris peu avant Noël 1972. L’occasion est le cinquantième anniversaire de la création de l’Union soviétique. Fidel ne repartira pas sans rien. Il a fait admettre que, en cette période de flambée des cours du sucre, Moscou ne peut plus s’en tenir aux six
cents
la livre de 1962. Une révision des prix sera donc pratiquée quand le marché dépassera certains seuils. Dès 1973, la livre sera payée onze
cents
et demi, et trente
cents
en 1975 : Castro a gagné deux cents millions de dollars.
« En échange », en somme, Fidel a confirmé son entrée dans la « division internationale socialiste du travail », modèle ambitionné par l’Union soviétique au sein du Comecon et auquel les autres ne se plient qu’en rechignant. La mission de Cuba est naturellement de produire du sucre, ce pour quoi l’île offre d’évidents avantages comparatifs. Mais le Comecon est aussi intéressé par le nickel, dont la production devrait être, à long terme, quintuplée par la relance des exploitations de Nicaro et de Moana Bay. Enfin, Cuba promet un effort de régularité dans ses livraisons d’agrumes ; de fait, elles augmenteront, de 1972 à 1978, d’un million de tonnes à quasi quatre.
Heureusement, passée la nouvelle mauvaise récolte de 1972 (due en partie à une décision intempestive prise en 1971 par Castro : le brûlage, sans préparation, des feuilles sur pied), les
zafra
, iront s’améliorant. L’île pourra ainsi profiter au mieux des prix record sur le marché mondial de 1974 et 1975. Succès plus substantiel encore : Fidel obtient un report au 1 er janvier 1986 (quatorze ans) de la dette contractée durant les douze premières années de la Révolution : un total de quatre milliards de dollars. Désormais, les voyages de Castro en Union soviétique – il y en aura encore six, pour les grand-messes du régime (décès de secrétaires généraux, congrès du PCUS, anniversaires) – seront, par commune volonté, des événements discrets.
Sur le front des Amériques, 1972 n’est pas une mauvaise année pour Cuba. Après le Pérou en juillet, ce sont quatre petits États anglophones de la Caraïbe, la Jamaïque, la Barbade, Trinidad et le Guyana, qui (r)établissent des relations. L’environnement devient ainsi plus amical, d’autant que Panama, sous le général Torrijos, sait montrer, sur la question du canal, dela fermeté envers Washington. Une motion du Pérou invitant à la levée des sanctions contre La Havane est repoussée en juin 1972 à l’OEA, mais la question est posée.
Avec les États-Unis, tout reste complexe, comme à l’ordinaire. En raison des pressions américaines sur le Chili d’Allende,
Granma
, le journal officiel cubain, n’écrit plus « Nixon » qu’en remplaçant le « x » du patronyme par une croix gammée. Et Fidel assure qu’aucun traité ne sera signé avec Washington tant que le républicain sera président, alors que le voisin du Nord, du fait de la multiplication des détournements d’avions vers Cuba, est demandeur d’un accord. Cinq jours avant l’élection présidentielle de novembre 1972, Fidel propose des discussions. Un traité sera finalement signé le 15 février 1973, après la triomphale réélection de Nixon. Rien de tel n’avait été concordé entre les deux pays depuis 1965, date à laquelle un
Weitere Kostenlose Bücher