Fidel Castro une vie
investisseurs canadiens s’intéressent aussi à la nouvelle manne virtuelle. Cependant, les résultats tarderont, malgré des prix étonnamment bas, car les prestations ne sont pas toujours à la hauteur. Par ailleurs, les autorités sont obligées d’importer une bonne partie de ce qu’elles mettent à la disposition des touristes, ce qui réduit la recette. Il n’empêche, l’île devient une destination populaire. Ce sera là, en trois décennies, l’un des rares vrais succès économiques de la Révolution. Fin 1993, Fidel pourra annoncer que, pour la première fois dans l’histoire de Cuba, le sucre (à dire vrai en chute libre) a cessé d’être le premier apporteur de devises. Dans le nouveau « panier » de ressources, aux côtés du tourisme, figurent en bonne place, outre les « biotechnologies » (vaccins et autres médicaments, un secteur dont le
Lider
est très fier et qu’il s’efforce de tenir hors d’eau en dépit de la dureté des temps), le nickel, les cigares, les langoustes et des fruits tropicaux.
Le premier pays à entrer en force dans l’économie cubaine aura été, on l’a dit, l’Espagne. Ce fait n’empêche pas Fidel – dont « le génie » est de refuser de plier le projet politique aux logiques économiques – de laisser s’installer, en 1990, une « guerre des ambassades » où Madrid sera au cœur du typhon : comme en 1980, des candidats à l’exil ont demandé l’asile. Les autorités jugent expédient d’envoyer des hommes du Minint se mêler aux réfugiés afin de fomenter des zizanies. L’affaire se tassera mais elle laissera des traces dans les relations avec Felipe González, chez qui les bonnes dispositions initiales vont faire place à une grande méfiance : « Fidel se veut encore un jeune révolutionnaire alors qu’il est devenu un vieux révolutionnaire »,déclarera Felipe lors du I er Sommet ibéro-américain, en septembre 1991, dans la ville mexicaine de Guadalajara (où, pour la première fois, on voit Fidel en
guayabera
…). Le courant passera mal avec ses pairs. En particulier, le péroniste de droite argentin Menem le taclera pour son « incapacité à faire des réformes ». Plus grave, le socialiste portugais Mário Soares le traitera de « dinosaure », notant pourtant qu’« il faut respecter un animal qui a connu la préhistoire ».
La même attitude prévaudra lors des sommets suivants : Madrid en 1992 (pour le cinquième centenaire de la « découverte de l’Amérique »), Bahia (Brésil) en 1993 et Carthagène (Colombie) en 1994. À la différence des années 1960, ce n’est pas le droit à l’existence d’un régime différent qui est contesté par les chefs d’État. Mais ce cénacle d’hommes (et une femme : la Nicaraguayenne Violeta Chamorro) élus au suffrage universel, et ayant dans l’ensemble pris des distances envers Washington, ne reconnaissent pas comme un des leurs celui qui est arrivé au pouvoir à la pointe du fusil un peu plus de trois décennies plus tôt et n’a jamais voulu relancer les dés.
De fait, l’écroulement de l’environnement international familier de Cuba, et la naissance partout dans l’ex-empire soviétique de systèmes représentatifs, si cahotants soient-ils, n’a pas, tant s’en faut, poussé Fidel à quelque remise en cause que ce soit. Sa conviction, rapportée par l’Espagnol Solchaga, est que « s’[il] met le doigt dans l’engrenage de l’ouverture, le corps entier y passera ». Un mois après l’écroulement du mur de Berlin, le
Lider
sera clair : « Cuba n’est pas un pays où le socialisme est arrivé derrière les divisions de l’Armée rouge » et qui serait donc mis en péril par leur retrait. « Jamais, dit-il encore, nous n’avions aspiré à ce qu’on nous confie la garde des glorieux étendards et des principes que le mouvement révolutionnaire a su défendre au long de son héroïque histoire. Mais si le destin nous assigne le rôle de rester un jour parmi les défenseurs du socialisme en un monde où l’impérialisme yankee aurait réussi à réaliser le rêve de Hitler de dominer la planète, nous saurons défendre ce bastion jusqu’à l’ultime goutte de sang. »
Revenant au messianisme d’octobre 1962, il clame, le 26 décembre 1989, devant l’Assemblée : « L’île coulera dans la mer avant que l’on amène les bannières de la Révolution etde la Justice. » Devant les syndicalistes achevant leur congrès, vêtus en miliciens, le 28 janvier
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