Fidel Castro une vie
privilégiés sont ceux à qui des parents exilés à Miami envoient des billets verts (pour un total de 500 millions par an, estime-t-on), ceux qui travaillent dans le tourisme et reçoivent des pourboires et ceux qui traficotent, dont certains sont aussi des « bons Cubains », proches du PCC. La fortification d’une économie parallèle illégale est ponctuellement signalée de l’intérieur du régime. On voit aussi se généraliser un vocabulaire significatif :
bineo
(combine),
fulas
(dollars),
frikis
(marginaux),
yumas
(le touriste à plumer),
candonga
(le marché noir, un terme importé d’Angola), et aussi
macetas
(les nouveaux riches). Sans oublier cette valeur sûre qu’est le
sociolismo
(copinage). Cependant, les
jineteras
(prostituées, littéralement : écuyères) s’affichent désormais ouvertement. Fidel,décidément très en verve, dit à un journaliste : « Si j’interdis la prostitution, on va encore dire que je porte atteinte aux droits de l’homme ! » Seuls « le sexe, la danse et le rhum » se trouvent encore en abondance, évitant la désespérance, note
Libération
.
Du fait de la réduction des rations, des carences apparaissent. En 1993, cinquante mille cas de névrites optiques sont détectés. La CIA va-t-elle être mise en cause ? Non : les médecins notent que l’affection régresse par administration de vitamines. L’OMS et l’Unicef, alertées, constatent, en 1994, qu’un enfant de moins de six ans sur deux est sous-alimenté.
La malnutrition n’est pas la seule conséquence de la « période spéciale ». Elle rogne les « acquis de la Révolution », justification ultime du castrisme. Car l’État ne peut plus assurer les prestations d’antan en matière d’éducation et surtout de santé. Les parents doivent à présent acheter crayons et cahiers. Et comme nombre de médicaments ne sont plus disponibles, la gratuité absolue des soins cesse d’être la règle le 3 mai 1994. En même temps sont annoncées des hausses de prix considérables dans les services (électricité, eau, transports) et pour des produits « extra » (alcool, tabac). On imagine même rétablir un impôt sur le revenu supprimé (comme symbole du capitalisme) durant la phase de « néoguévarisme-I » (1967).
Un autre trait devient patent : depuis le repli d’Afrique, achevé en mai 1991, l’armée est en surnombre. Elle est donc, pour une part, reconvertie dans la production, et notamment là où le bât blesse le plus : la coupe de la canne (les
zafras
atteignent des records négatifs ; celle de 1994, avec ses 3,5 millions de tonnes, est la pire de toutes). Les FAR superfétatoires sont, plus largement, priées de s’investir dans l’agriculture – que deviendrait le pays si la faim déclenchait des émeutes ? Raúl a eu un mot, resté fameux, pour faire comprendre l’absolue nécessité de cette reconversion : « Les haricots ont plus de prix que les canons. » Sans doute a-t-il gagné, ce jour-là, ses galons de futur homme d’État. La troupe a aussi été placée en première ligne, fusil en main, pour s’opposer aux vols, qui se multiplient dans les entreprises publiques et fermes d’État. Cette implication renforcée des militaires dans l’économie fait écrire, dès le printemps 1994, à l’hebdo américain
Newsweek
que c’est désormais « Raúl qui commande à Cuba ».
L’industrie aussi va mal. Les entreprises – celles qui restent, car beaucoup ferment faute de carburant ou de matériaux – tournent au tiers de leur capacité. Deux usines en cours d’installation dans l’Est pour raffiner le nickel n’entreront pas en production. Et on annonce que la centrale nucléaire de Juragua, près de Cienfuegos, en construction depuis vingt ans, doit mettre la clé sous la porte puisque l’Union soviétique, maître d’ouvrage, a cessé d’exister. Pour avoir suggéré trop tôt l’inéluctabilité de cette mesure, Fidelito, fils aimé du
Lider
, est limogé de son poste de patron de l’Énergie atomique. L’État sera-t-il en capacité de servir une indemnité de chômage technique (60 % du salaire) ? Oui, en serrant la ceinture de tous.
Comment compléter les envois, très amaigris, d’or noir soviétique, puis russe ? En août 1993, Fidel va jusqu’à faire un saut en Colombie pour tenter d’obtenir des promesses du président libéral Gaviria. La même année, il passe une entente avec l’Iran, dont le rapproche, malgré l’aspect théocratique du régime
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