Fiorinda la belle
de réquisitoire pour ainsi dire malgré elle. Les sentiments déchaînés en elle par les accusations qu’on lui jetait à la face l’avaient mise dans l’incapacité de dire une parole, d’esquisser un geste.
Pas un muscle de sa face devenue livide ne bougeait. Seuls les yeux étincelants qu’elle dardait sur Beaurevers attestaient que la vie existait encore en elle et parlaient un langage effroyablement menaçant.
Beaurevers avait achevé de parler qu’elle était encore immobile et muette, comme privée de sentiment. Enfin elle retrouva l’usage de la parole et, dans un grondement furieux, qui n’avait plus rien d’humain, elle hoqueta :
« Misérable truand, tu oses insulter la reine… la mère du roi !… Je veux… le bourreau… la question… les supplices les plus… »
Les mots maintenant se pressaient sur ses lèvres avec une telle impétuosité qu’elle ne parvenait pas à les assembler en phrases correctes.
Elle prit le temps de souffler.
Beaurevers, plus froid que jamais, l’observait avec une attention intense. Et il se disait :
« Attention, voilà le moment critique. Si j’hésite, si je m’embrouille, si je trébuche, je suis perdu… Une seule des accusations que je viens de porter suffirait à faire tomber ma tête si je ne puis la prouver. Il faut que Catherine soit persuadée du contraire. »
Catherine s’était remise. La colère, une colère froide, terrible, la faisait vibrer. Elle voulut appeler. Le timbre et les marteaux d’ébène se trouvaient sur une petite table. Cette table, par suite d’un oubli, n’était pas à portée de sa main.
Elle se leva lentement pour aller à cette table.
Beaurevers comprit son intention. Il n’hésita pas.
« Qu’allez-vous faire, madame ? » demanda-t-il avec un calme stupéfiant.
Et répondant lui-même :
« Appeler votre capitaine des gardes. Lui donner l’ordre de m’arrêter… La pire des maladresses que vous pourriez commettre en cette occurrence terrible comme celle-ci. »
Sans hâte, sans provocation, d’un pas ferme, aussi tranquille que s’il accomplissait le geste le plus banal, il alla à la petite table, la prit et vint la poser doucement devant Catherine stupéfaite et déjà inquiète.
Puis, saisissant le marteau, il le lui tendit en disant :
« Tenez, madame, appelez… Réfléchissez cependant avant de frapper sur ce timbre. Demandez-vous un peu si je suis un homme à être venu ici sans avoir pris préalablement mes petites précautions.
– Démon !
– Raisonnons, voulez-vous ? Vous ordonnez mon arrestation. Parfait. Votre capitaine se présente. Je ne fais aucune difficulté de lui remettre mon épée… Seulement, j’exhibe à mon tour un ordre entièrement écrit de la main du roi, prescrivant, en cas d’arrestation, de me conduire avant toute chose devant lui. »
Il avait dégrafé son pourpoint et mis la main dans son sein comme pour en sortir l’ordre dont il la menaçait. Mais il eût été bien en peine de le montrer, cet ordre, pour l’excellence raison qu’il n’en avait aucun, d’aucune espèce.
Mais Catherine ne prit toujours par le marteau. Preuve qu’elle croyait, elle, à l’existence de cet ordre.
Beaurevers continua avec plus de force :
« Votre capitaine obéira à l’ordre du roi, comme il aura obéi au vôtre. De cela, vous ne doutez pas, j’imagine. On me conduira devant le roi. Il faudra que vous y veniez aussi, madame. Vous déposerez votre plainte. Moi, je préciserai mes accusations… et je fournirai mes preuves. Soyez tranquille, madame, la chose sera vite réglée, pas dans le sens que vous espériez. »
Catherine, qui se tenait droite devant lui, se laissa tomber lourdement dans son fauteuil. Ses jambes refusaient de la porter plus longtemps. Et une sueur glacée pointait à la racine de ses cheveux.
Beaurevers ne triompha pas. Il posa doucement le marteau sur la table, devant elle. Il était sûr maintenant qu’elle n’y toucherait pas. Et, les bras croisés sur la poitrine, il attendit avec confiance.
Catherine réfléchissait. Elle ne s’avouait pas encore vaincue. Elle cherchait. Et tout à coup ses yeux se posèrent avec insistance sur le marteau.
Beaurevers ne la perdait pas de vue. On eût pu croire qu’il lisait dans son esprit comme dans un livre ouvert, car il dit, froidement :
« Je sais, madame : à quoi bon une arrestation dangereuse ? Un misérable a osé insulter la reine dans sa chambre. Sus !
Weitere Kostenlose Bücher