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Fortune De France

Fortune De France

Titel: Fortune De France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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pris Calais en 1347, il y a tout juste deux cent dix ans.
    — Quels
méchants hommes que ces Anglais, dit Faujanet. Mais je croyais que Jeanne les
avait boutés dehors.
    — Point
de partout, dit Sauveterre. Ils se sont accrochés à ce petit bout de France
dans le Nord comme des tiques à l’oreille d’un chien.
    — Deux
cent dix ans ! dit François, capable, certes, de faire ces sommes, mais
dépassé par l’imagination de tant d’années s’ajoutant aux dix ans de sa vie.
    — J’ai
cinquante-deux ans, dit Sauveterre. Deux cent dix ans, cela fait, à deux ans
près, quatre fois mon âge.
    Je
regardai Sauveterre, son poil grison, son visage couturé et ridé et ses mains
où de grosses veines bleues apparaissaient. Quatre fois l’âge de l’oncle Sauveterre,
c’était une immensité.
    — Mais
si Dieu, après tout ce temps, ne nous a pas rendu Calais, dit la Maligou, c’est
que Dieu ne l’a pas voulu.
    — Sotte
caillette ! dit Jonas qui, dans son indignation, s’appuya davantage sur
Barberine. Si Dieu avait voulu que les Anglais aient Calais, il l’eût placé de
l’autre côté de la Manche, à côté de Douvres.
    — Ah,
c’est bien vrai, ça ! dit Barberine, frappée par l’évidence de ce
raisonnement, et en même temps, elle donna une taloche à la petite Hélix
qu’elle surprit à me pincer. Quant à ce qui se passait derrière son vaste dos,
elle ne paraissait pas s’en apercevoir.
    — Les
Anglais, dit François, ont-ils pris Calais par traîtrise ?
    — Non
point, dit Sauveterre, mais en combat loyal après leur éclatante victoire de
Crécy sur notre pauvre Roi Philippe VI.
    J’avais
appris avec Samson pendant l’été l’interminable liste de nos Rois et je
craignis un moment que Sauveterre, qui avait l’habitude de ce genre de
questions, me demandât à qui Philippe VI avait succédé et qui était venu
après lui. Mais Sauveterre poursuivit.
    — À
Crécy, dit-il, ce furent les Anglais, les meilleurs archers qu’on ait jamais
vus sur terre, qui donnèrent la victoire à leur camp.
    — Pardon,
monsieur le capitaine, dit Jonas d’un air profondément blessé. Ce sont les
arcs, et non point les archers anglais, qui sont les meilleurs. Parce qu’ils
sont faits d’un buis qui ne pousse que chez eux.
    — Tu
as raison, Jonas. Et s’il y avait eu deux mille de tes pareils à Crécy, la
bataille eût tourné autrement.
    — Merci,
monsieur le Capitaine, dit Jonas en rougissant de fierté à la pensé des
exploits qu’il eût pu accomplir à Crécy, deux cent dix ans plus tôt.
    — Comment
fut pris Calais ? dit François, qui savait combien Sauveterre aimait qu’on
lui posât des questions.
    Comme
mon père, comme beaucoup de seigneurs ou bourgeois huguenots, Sauveterre
nourrissait un respect presque religieux pour le savoir  – jusqu’à
apprendre à lire aux domestiques afin qu’ils eussent accès aux Saintes
Écritures.
    — Calais,
dit Sauveterre, fut pris au bout d’un an par rage de faim, la flotte anglaise
bloquant le port et Philippe VI n’arrivant pas à la délivrer par terre.
Tout était mangé, et les chiens, et les chats, et les chevaux, au point que le
vaillant capitaine de la défense, Jean de Vienne, craignit que les pauvres
Calaisiens n’en vinssent à manger chair de gens.
    — Hélas !
dit Barberine qui, parce qu’elle était si blanche et si succulente, avait
toujours craint d’être rôtie au cours d’un siège. C’est grand péché que de
manger la chair d’un chrétien !
    — Chrétien
ou pas, dit Faujanet, faim fait saillir le loup du bois et, homme ou pas,
crève-la-faim se fait loup. En mes dix ans de service dans la légion de
Guyenne, j’ai vu des choses que je ne dirai pas.
    — Et
bien fais-tu, dit Sauveterre, en ne marquant aucune impatience. En ces
extrémités, reprit-il, et tout étant perdu, Jean de Vienne composa. Il fit
demander à Edouard III d’Angleterre de laisser sortir de la ville peuple
et garnison. « Nenni, dit Edouard III, ils m’ont tué trop de mes bons
Anglais ! Tous y mourront ! »
    — Le
méchant homme ! dit Barberine.
    — Non
point, dit Faujanet. C’était son droit.
    — Un
droit barbare, dit Sauveterre. À preuve que les Barons du roi anglais lui
firent mille prières pour adoucir la pointe de son haïr. Et Edouard dit enfin
qu’il prendrait à merci peuple et garnison, si seulement six notables de Calais
lui venaient rendre les clefs de la ville, nu-pieds, nu-chef,

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