Fortune De France
attaquent !
CHAPITRE IV
Ces
Roumes, tant redoutés de nos campagnes, étaient des gueux chassés d’Espagne qui
crevaient la faim sur les chemins de Guyenne, jusqu’au jour où, dans le malheur
des temps, un chef habile les avait armés et organisés en pillards. Ces gens
étaient montés comme l’écume et, comme elle, ils devaient disparaître, la paix
revenue, leurs troupes taillées en pièces et leur capitaine envoyé tout botté
au gibet. Celui-ci, dans le fond de son cœur, n’ignorait pas que son aventure
aurait un jour cette fin, ce qui donnait une folle audace à ses actes
désespérés.
Sauveterre
avait prévu que leur attaque aurait lieu la nuit, et il avait pris quelques
précautions, multipliant dans l’enclos entourant notre étang les chausse-trapes
meurtrières, mais non pas si fragiles que le poids d’un chien pût les enfoncer,
car trois grands dogues, achetés depuis peu, patrouillaient là jour et nuit, si
féroces et si hérissés que même Faujanet avait peine, pour les nourrir, à les
approcher.
En
outre, sur les quatre faces de Mespech, Sauveterre avait fait fixer dans le
joint des pierres, à proximité des créneaux, de larges bobèches et son premier
soin, après l’annonce de Jonas, ne fut pas d’armer sa troupe, mais d’allumer et
de répartir les torches aux endroits préparés, ce qui donna au château et à
l’étang un air de féerie qui nous plongea, Samson et moi, dans le ravissement,
mais qui révéla aussi que les Roumes occupaient déjà notre île. À l’aboiement
furieux des chiens, le silence le plus menaçant avait succédé, et dès que la
façade sud du château fut illuminée, les Roumes se cachèrent au fond des
remises qui, dans l’île, abritaient nos charrettes et nos araires.
Sauveterre,
en pourpoint comme il était, et sans prendre le temps de revêtir un corselet et
de se coiffer d’un morion, distribua les arquebuses à tous, y compris à
François et aux femmes, et ordonna un feu nourri sur l’intérieur des remises.
Mais nous dominions celles-ci de si haut que nos torches laissaient des zones
d’ombre sous les remises, et que nos arquebusades touchaient surtout les lauzes
du toit. Nous aurions eu de meilleures vues en occupant la petite tour ronde
qui faisait la jonction entre l’île de Mespech, mais il aurait fallu pour cela
abaisser un des deux ponts-levis que cette tour comportait. Sauveterre sentit
qu’il avait trop peu de monde pour envoyer un détachement à ce poste avancé
qui, si bien conçu qu’il fût pour assurer notre défense, ne servit en fin de
compte à personne, ni aux Roumes ni à nous-mêmes.
Nos
assaillants, tapis au fond des remises de l’île, faisaient sur nos créneaux un
feu continu, mais si peu efficace qu’il semblait que ce fût davantage pour nous
amuser que pour nous engager. Cela donna à penser à Sauveterre qu’ayant fixé
notre attention et notre feu sur l’île, les Roumes préparaient une attaque sur
nos arrières. Il envoya Faujanet et Jonas faire le tour des remparts. Et il fit
bien car si, à l’ouest et à l’est, ils ne remarquèrent rien d’anormal, au nord,
en revanche, Jonas, qui marchait en avant, vit à une quinzaine de mètres devant
lui un Roume se hisser par un créneau et prendre pied sur les dalles du chemin
avec la légèreté d’un chat. Jonas s’immobilisa et, bandant son arc, transperça
d’une flèche l’envahisseur qui tomba sans un cri, les mains crispées sur sa
poitrine. Jonas fit alors signe à Faujanet de rester sur place et, se baissant,
il s’avança à pas de loup. Il découvrit huit grappins fixés dans les creux des
créneaux, et jetant un œil par ces creux, il vit des Roumes qui, sans se
soucier le moins du monde de la torche qui éclairait la face nord, montaient
aux cordes en s’appuyant de leurs pieds nus contre la muraille. Jonas fut
stupéfait de leur folle bravoure et, se retirant de quelques pas dans l’ombre,
envoya Faujanet quérir Sauveterre.
Suivi
des frères Siorac et de Faujanet, celui-ci arriva comme Jonas abattait un
deuxième Roume, tout aussi silencieusement que le premier. Sauveterre
immobilisa ses trois hommes derrière Jonas et leur dit à voix basse :
— Laissez
faire le carrier. Ne tirez que sur mon ordre.
Un
Roume fut encore abattu, puis un quatrième surgit, qui, touché par la flèche de
Jonas, en une partie sans doute moins vitale, poussa un cri déchirant et, se
rejetant en arrière, plongea dans l’étang.
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