Fourier
n’y mettre
que des pauvres et gens d’habitudes plébéiennes, point de familles au-dessus de
mille francs de revenu.
2° Au lieu de modulation en majeur et mineur, supprimer tout
le mineur, toute la modulation en amour et famillisme, cardinales mineures.
3° Au lieu d’équilibre passionnel en raison directe des
masses et inverse du carré des distances, réduire l’équilibre à la raison
directe des masses et supprimer la raison inverse du carré des distances. Au
moyen de cette triple mutilation, l’on atteint à un équilibre parfait quoique
simple en tout sens 42 .
Comme base pour l’épreuve réduite, ce nouveau système de simple
association a deux avantages manifestes. D’abord, il n’exige pas la
participation des riches :
…et il en résulte qu’on peut essayer l’Association avec une
poignée de ces misérables familles qu’on voit tous les jours émigrer,
s’embarquer pour l’Amérique dans les ports d’Allemagne et d’Angleterre, ou bien
avec quelques paysans, comme seraient les villages de Bons [près de Belley] ou
de Brégile [sur le territoire de la commune de Besançon], en laissant les
matadors, ou coqs de village, au cas où ils hésiteraient. [...] Ceci ouvre une
chance bien différente de cette d’Association composée, qui exige toutes les
inégalités, du pauvre au millionnaire, de l’ignorant au savant, etc. 43
Le second avantage de l’association simple est qu’elle ne
s’appuie pas sur des harmonies comportant les passions d’amour et de familisme.
Ce sont en effet les passions que la civilisation comprend le moins bien.
Faisant sans elles, l’association simple, écrit Fourier, est une « fondation
toute morale », où l’Inquisition espagnole elle-même ne trouverait rien à
redire.
Fourier conclut sa lettre à Muiron par l’annonce d’un changement
dans ses plans :
Pourvu maintenant d’un moyen d’épreuve si économique, si
approprié aux goûts du siècle et aux préjugés, je suis résolu à le publier
séparément et à donner l’an prochain un Traité partiel qui exposera le plan
d’Association simple, tout en faisant entrevoir celui de la composée, que les
riches demanderont dès le lendemain du jour où ils auront vu la simple, dans
laquelle on ne peut pas admettre de gens riches et où l’on verra pourtant les
pauvres plus heureux que ne le sont aujourd’hui les sybarites 44 .
On a longuement cité cette lettre à Muiron parce que la
découverte qu’elle annonce marque un tournant important, le dernier tournant
décisif, dans la vie intellectuelle de Fourier. Depuis son arrivée dans le
Bugey, son unique souci a été d’élaborer un corps systématique de doctrine :
les innovations théoriques d’avant 1819 n’ont servi qu’à élargir le champ et à
augmenter la complexité de cette doctrine. Mû en partie par la simple curiosité
intellectuelle, et s’appuyant, chaque fois qu’il était dans le doute, sur le
fidèle principe d’analogie, Fourier en écrivant le Grand Traité cherchait à
fournir une clef à toutes les branches des « destinées ». Pendant toute cette
période, il s’est peu penché sur les modalités de la fondation effective d’une
Phalange. Lorsque Muiron exprime une certaine impatience à cet égard, on voit
Fourier répondre qu’« il faudra d’abord qu’un Traité régulier, un corps de
doctrine, ait donné les notions nécessaires 45 ». Son sentiment à l’époque est qu’il lui faut prévoir tout à l’avance : nul
doute que, s’il parvient à élaborer le système des passions dans le plus exact
détail, la « réalisation » n’en découle tout naturellement.
Au départ, c’est d’ailleurs le même souci d’exhaustivité théorique
qui le pousse à consacrer une part importante de son traité à la question des
approximations sociétaires. Mais la découverte qu’il fait en cours de route,
celle du système de « l’association simple », infléchit ses préoccupations. Le
problème d’une réalisation effective commence à l’emporter dans son esprit.
Convaincu d’être en possession d’un plan sans faille, et économique de
surcroît, permettant la mise en application immédiate de sa théorie, Fourier, à
partir de cet instant, va se mettre en quête d’un commanditaire, de quelque
riche capitaliste susceptible de l’aider à lancer sa première Phalange d’essai.
Son souci désormais n’est plus tant d’élargir le champ de sa doctrine (ce sera
d’ailleurs là l’ultime
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