Fourier
notamment de la science newtonienne) la « clef » du dessein divin
: Considerant comme admise l’idée d’une correspondance préétablie entre les
mondes physique et social, Fourier pense que l’organisation des sociétés
humaines telle que l’a voulue Dieu est, d’une façon ou d’une autre, analogue
aux principes qui régissent l’univers newtonien. Il s’agit donc de traduire la
découverte de Newton dans le domaine social et de trouver un pendant à la
gravitation.
Bien qu’il ne le sache apparemment pas, Fourier n’est pas le
premier à explorer cette voie : fascinés par les œuvres de Galilée et Newton,
nombreux sont les penseurs des XVIIe et XVIIIe siècles qui ont cru pouvoir
découvrir des lois du comportement identiques à celles qui régissent la chute
des corps et la révolution des planètes. La tradition remonte au moins à Thomas
Hobbes et à son élaboration d’une « nouvelle science politique » sur le modèle
de la physique galiléenne. Mais le véritable catalyseur reste la théorie
newtonienne de la gravitation : pendant plus d’un siècle après la publication
des Principia, l’on va s’efforcer de découvrir le principe « d’attraction » qui
gouverne la vie sociale, de généraliser le paradigme newtonien en vue d’une
science du comportement humain 12 .
Dans quels domaines l’influence de l’attraction sur les hommes
est-elle le plus visible ? L’idée prévaut au XVIIIe siècle que l’entendement découle
des sensations : beaucoup de philosophes (notamment tous les psychologues
associationnistes depuis Gay et Hartley jusqu’à Hume et James Mill) partent de
cette hypothèse pour fonder leur compréhension de la nature humaine sur les
lois de l’association d’idées dérivées des sensations. David Hume, par exemple,
parle de l’association d’idées comme d’une « attraction qui, trouvera-t-on, a
dans le monde de l’esprit d’aussi extraordinaires effets que dans le monde de
la nature 13 ». Pour Fourier, en
revanche, l’entendement ne trouve pas sa source dans les sensations mais dans
les passions ; il n’est pas régi par l’association d’idées mais par «
l’attraction passionnée », qu’il définit en ces termes : « L’Attraction
passionnée est l’impulsion donnée par la nature antérieurement à la réflexion,
et persistante malgré l’opposition de la raison, du devoir, du préjugé, etc. 14 ».
Les passions sont les « maîtresses du monde ». Leur analyse est
son but.
III
L’amour de Fourier pour des taxinomies alambiquées n’est jamais
plus apparent que dans ses écrits sur les questions psychologiques 15 . Il y compte et classe sans répit les
manies, les penchants et les types de personnalités. Tout peut cependant être
ramené à une classification de base comprenant douze passions « radicales ».
Filant la métaphore de l’arbre, il précise que le tronc symbolise « l’unitéisme
», la synthèse ou harmonie des douze passions radicales, « une philanthropie
illimitée, une bienveillance universelle », passion en soi dans laquelle
l’individu lie spontanément son bonheur à celui du reste de l’humanité 16 . Mais cet état n’étant pas connu de la
civilisation, il le caractérise généralement par opposition à l’égoïsme « qui
domine si universellement » le monde civilisé.
Trois maîtresses branches s’élèvent du tronc de « l’arbre
passionnel ». La première a cinq rameaux correspondant aux cinq sens. « Il est
à peine croyable », écrit Fourier, « qu’après trois mille ans d’études, l’on
n’ait pas encore pensé à classifier les sens. Aujourd’hui, même nos cinq sens
sont encore cités pêle-mêle, sans que l’on admette entre eux aucune distinction
de rang ». Fourier se montre particulièrement troublé du fait que les
philosophes civilisés n’aient jamais accordé au goût le respect qui lui est dû,
alors que c’est le plus impérieux de tous les sens, « la première et la
dernière jouissance de l’homme [...] presque l’unique ressource des enfants et
des vieillards en fait de plaisir 17 ».
Fourier nomme les cinq passions sensuelles passions « luxueuses
» parce qu’elles dépendent, pour être satisfaites, non seulement de la santé,
mais également d’un certain luxe matériel que seuls peuvent s’offrir les nantis
du monde civilisé. L’iniquité de l’ordre civilisé est telle que des individus
au « brillant » appétit et à l’estomac solide vivent
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