Fourier

ces
descriptions détaillées, d’ordinaire au présent, sont tout empreintes de
l’assurance de celui qui a vu l’avenir de ses yeux :
    Dans une matinée de printemps, on voit, au lever de
l’aurore, sortir des portiques du palais une trentaine de groupes avec leurs
drapeaux et emblèmes distinctifs. Ces divers pelotons se répandent dans la
campagne et les jardins 1 .
    Si nous voyions, dans un beau vallon distribué en mode
ambigu, dit anglais, tous ces groupes en activité, bien abrités par des tentes
colorées, travaillant par masses disséminées, circulant avec drapeaux et
instruments, chantant dans leur marche des hymnes en chœur ; puis le canton
parsemé de castels et belvédères à colonnades et flèches, au lieu de cabanes en
chaume, nous croirions que le paysage est enchanté 2 .
    Le parfait utopiste est aussi un grand visionnaire : il a déjà
contemplé le futur.

I
    Fourier a toujours situé sa Phalange dans un cadre rural.
Idéalement, elle occuperait une lieue carrée de terrain vallonné ; l’eau y
coulerait en abondance, la terre et le climat seraient propices à la culture
d’une grande variété de produits 3 .
L’emplacement de la Phalange serait choisi à proximité d’une grande ville ou
capitale, dans une circonférence n’excédant pas l’équivalent d’une journée de
route : cet impératif n’est pas négligeable si, comme le pense Fourier, une
bonne partie des bénéfices de la Phalange d’essai doit provenir des droits
d’entrée payés par les visiteurs, le « bénéfice des curieux » comme il le nomme.
    Le voyageur arrivant à la Phalange pour la première fois sera
frappé de l’élégance et de la taille du bâtiment central, le Phalanstère : un
monument colossal, orné d’une « multitude de colonnades, dômes, et péristyles
», croisement entre un palais et un grand hôtel balnéaire. L’architecture du
Phalanstère sera plus ou moins calquée sur celle de Versailles : une immense
façade centrale longue de mille deux cents mètres et flanquée de deux grandes
ailes. Derrière, entre les deux ailes, s’étendra un terrain de parade, où se
dérouleront les festivités et défilés quotidiens de la communauté entière.
    A son arrivée, le visiteur sera d’abord reçu dans un hall ou «
caravansérail », situé dans une des ailes afin de ne pas troubler les activités
quotidiennes de la Phalange. On lui servira à boire, et de grandes réceptions
seront organisées pour les caravanes venues de pays lointains. Le caravansérail
sera également le lieu des échanges de la Phalange avec l’extérieur : il y aura
là un centre de tri postal, une salle de rédaction de bulletins et de réception
des dépêches en provenance des Phalanges avoisinantes, des écuries pour les
chevaux de poste et des chenils pour les chiens messagers qui partiront toutes
les heures en direction des autres Phalanges.
    La seconde aile sera en grande partie occupée par les ateliers
de travail, les salles de musique et les salles de jeux pour enfants. Toutes
les activités bruyantes seront ainsi concentrées en un même lieu et la partie
centrale du Phalanstère pourra être réservée à des occupations plus paisibles :
elle comprendra les salles à manger, la bourse, les salles de réunions, la
bibliothèque, les bureaux de travail, les chambres et les appartements. Les
étages supérieurs de cette section centrale abriteront le temple de la Phalange,
sa tour et ses carillons de cérémonie, un observatoire et, enfin, un colombier
d’où s’envoleront les pigeons voyageurs porteurs de messages pour les Phalanges
lointaines.
    Un nouvel ordre social suppose une architecture nouvelle :
Fourier en est intimement persuadé et il n’hésite pas, dans ses manuscrits sur
la question, à critiquer ouvertement la monotonie architecturale et
l’encombrement des villes civilisées, la disgrâce et les mauvaises proportions
de l’architecture domestique, et le principe même de fragmentation du logement
en unités d’habitation familiales 4 .
Il veut une architecture qui fasse tomber les murs entre les personnes et les
familles et rende possible la multiplication des liens entre les membres d’une
communauté. Il propose à cet effet une série de créations architecturales
applicables au Phalanstère : le « séristère », par exemple, est une série de
pièces spécialement agencées qui sert de lieu de réunion aux membres d’une même
série. Il comprend en général trois grandes