Fourier
rue Joquelet 34 .
Finalement, il est décidé de consacrer une soirée par semaine à la réception
des visiteurs qui souhaitent rencontrer Fourier ou obtenir plus de
renseignements sur la doctrine.
Plusieurs de ces visiteurs ont laissé des témoignages de leurs
premières impressions. Celui d’Albert Brisbane est l’un des plus intéressants :
Lorsque nous fîmes la connaissance [de Fourier] en 1832,
il avait environ soixante ans. Il était de taille moyenne, mesurant à peu près
un mètre soixante-dix à un mètre soixante-treize ; de sa carrure relativement
frêle, émanaient l’élasticité et l’énergie propres à une constitution solide et
à une grande activité intellectuelle. Il avait le teint clair et ses cheveux
avaient été châtains. Son front était élevé et assez étroit - ou du moins le
paraissait-il de par sa hauteur ; autour des sourcils, là où les phrénologues
logent les organes de la perception, il était large et plein, et dans sa partie
supérieure, fort bombé et développé. [...] Ses sourcils étaient fins; ses
grands yeux, d’un gris-bleu indéfinissable, à la pupille rétractée, conféraient
à tout son visage une formidable intensité. Son nez aquilin se projetait
fortement depuis le haut pour descendre tout droit se terminer en une pointe
assez aiguë. Ses lèvres étaient extrêmement minces, habituellement serrées
l’une contre l’autre, et s’abaissaient fortement vers les coins, ce qui donnait
à sa physionomie une certaine expression de mélancolie silencieuse et réservée.
Ses traits, excepté la bouche, étaient à la fois larges, bien tranchés, et
délicatement moulés.
Autant qu’il nous en souvienne, son expression était
empreinte d’indépendance, d’une grande intensité, d’une énergie résolue, d’une
ténacité et d’une fermeté inflexibles que venaient adoucir la réflexion et la
contemplation profonde. Ses manières étaient dénuées de toute prétention, sa
mise simple comme d’un gentilhomme de province, et il était légèrement voûté ;
il avait l’air d’une simplicité froide, inabordable ; il était pensif, réservé
et taciturne, ce qui, joint à la fermeté naturelle de son caractère, contrebalançait
cette simplicité sans fard et prévenait toute ébauche de familiarité, même de
la part de ses disciples les plus dévoués. Pas une ombre de vanité, d’orgueil,
ou d’arrogance n’était perceptible en lui ; sa propre personnalité semblait
abîmée dans la vastitude et l’universalité des grandes vérités qu’il avait
découvertes, et dont il se faisait l’instrument auprès des hommes 35 .
Le Fourier de Pierre Joigneaux est quelque peu différent.
Étudiant à Centrale, Joigneaux, lorsqu’il rencontre Fourier, est un républicain
aux sympathies néo-babouvistes. Dans son autobiographie, bien plus tard, il
raconte ce qui arrive lorsqu’un visiteur fait incidemment tomber le masque de «
simplicité froide, inabordable » qu’arbore Fourier.
Un jour de la semaine, ou mieux un soir, je ne sais plus
lequel, on était assuré de rencontrer Charles Fourier dans la pièce principale
de la rue Joquelet. Il était le dieu de l’endroit et les adeptes, qui le
tenaient en profonde vénération, ne manquaient pas ce jour-là de venir lui
présenter leurs hommages. Le maître était assis dans un large fauteuil ; les
disciples de la première heure : Jules Lechevalier, Victor Considerant, le
docteur Pellarin et plusieurs avec ceux-là ne quittaient pas l’antichambre. Le
suprême honneur pour les néophytes de mon espèce consistait à défiler devant le
maître, à s’incliner respectueusement, à dire quelques bonnes paroles avant
d’en obtenir de meilleures. Charles Fourier ne semblait pas se soucier d’entrer
en conversation avec les visiteurs que la curiosité lui amenait en plus ou
moins grand nombre. Il restait immobile et calme en apparence ; sa physionomie
n’était pas encourageante, la courbure de son nez rappelait un peu le bec de
l’oiseau de proie.
Figurez-vous que je m’étais mis en frais d’une courte
harangue avant d’aller rue Joquelet, et que je m’attendais à des félicitations
presque chaleureuses. Arrivé dans la salle où trônait Charles Fourier et me
voyant seul, je me dis que l’occasion de placer mon compliment et mes petites
observations était belle et que je devais en profiter. Et là-dessus, prenant
mon peu de hardiesse en deux mains, je m’arrêtai devant le maître et
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