Fourier
Les épiciers détrônés », ou « La
femme libre enfin trouvée » ; ils font miroiter les mêmes extravagantes
merveilles que celles promises jusqu’alors à des « candidats » individuels,
fourmillent d’invectives, sont agressifs, vont droit au but. Voici, par
exemple, comment Fourier lance « Les torpilles du progrès » :
Quel est votre but, hâbleurs qui ne cherchez que progrès
et association ? Vous cherchez insidieusement à étouffer tout essai
d’association 19 .
Et quand les disciples déplorent le mauvais goût de l’article,
il leur fait la même réponse qu’à Just Muiron en 1830 : « Où avez-vous vu qu’il
faille tant de bon ton et de fard académique entre journalistes ?... Le bon ton
n’est point exigé en polémique de journaux et de littérature. Voltaire était
bien un écrivain de bon ton, et que d’injures ne vomit-il pas contre ses
ennemis ! Sans aller aussi loin, il faut tenir un milieu et parler avec fermeté
aux vandales et aux calomniateurs 20 .
»
Tous les disciples ne sont cependant pas insensibles aux talents
de plume de Fourier. Charles Pellarin, par exemple, le compare à La Fontaine ou
Molière dans l’art de peindre « sans farder les vices et les iniquités de la
civilisation ». Même Lemoyne est capable d’apprécier la veine de « poésie
fantastique » qui court à travers l’œuvre 21 .
Tous, en revanche, s’accordent sur un point: Fourier n’est pas fait pour le
journalisme. Et ceux-là mêmes qui apprécient la « poésie » de ses grands livres
craignent que la crudité et l’extravagance de ses articles ne compromettent
leurs efforts de vulgarisation. Petit à petit, ils se rangent tous à l’avis de
Victor Considerant, qui, en octobre 1833, résume ainsi la première année du
Phalanstère : « Il nous a fallu certes beaucoup de courage pour aller toujours
en avant avec le sentiment du tort permanent qu’il faisait à sa doctrine par
ses écrits périodiques 22 . »
Il n’est guère étonnant, si ce sentiment prédomine, que Fourier
et ses disciples se trouvent souvent en désaccord. Dès le début, la tension
s’installe. Dans le premier numéro, les éditeurs se sentent tenus de publier
une note pour excuser le tableau des quinze degrés ou échelons de l’association
que Fourier tient absolument à inclure dans son programme de Phalange. La
nomenclature du tableau étant de nature à décourager les plus vaillants, les
éditeurs précisent : « Nous ne prétendons pas que l’ensemble du tableau puisse
être compris sans de grands développements dont le détail appartient à la
théorie générale de M. Fourier et non à l’objet spécial de cette publication 23 .» Et ce n’est qu’un début. En juillet
1832, Fourier ayant rédigé un article particulièrement virulent contre les
saint-simoniens, Lechevalier et Transon doivent publier un démenti catégorique
de sa position :
Après avoir vainement essayé de ramener Monsieur Fourier à
de meilleures idées sur la doctrine saint-simonienne et sur la personne de
ses chefs, nous croyons devoir déclarer, en notre nom comme en celui de tous
les saint-simoniens qui se sont unis à nous, que nous n’acceptons en aucune
façon les termes de l’article qui précède. Comme appréciation de la doctrine,
la critique de M. Fourier nous paraît bien inférieure à celle qui peut être
faite au moyen de toutes les grandes idées émises dans le Traité de
l’association et Le Nouveau monde industriel. Comme jugement sur les hommes et
sur leurs intentions, nous affirmons que M. Fourier est dans la plus grande
erreur 24 .
Fourier, pour sa part, ne semble pas gêné par de tels désaveux.
Il tient à faire savoir ce qu’il pense des saint-simoniens. Si ses disciples ne
sont pas d’accord, libre à eux de le proclamer.
La tendance qu’ont certains des contributeurs du Phalanstère à
présenter sa théorie de l’association comme un simple projet de ferme
expérimentale le dérange davantage. En août 1832, il met les points sur les « i
» dans Le Phalanstère :
Entraînés par l’habitude, nos disciples tombent
fréquemment dans des erreurs qu’il importe de prévenir. La plupart veulent
attribuer à la Phalange d’essai les fonctions d’une ferme-modèle qui fait des
expériences en matériel sur les instruments oratoires, les assolement's, les
élèves, etc. ; ils nous conseillent telle sorte de culture, telle plantation.
Ce n’est pas de ces innovations que nous nous occupons ; nous
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