Fourier

pâtisserie, etc.; elle vendra aux paysans voisins les viandes
basses, elle gardera les bonnes pour les 1 200 [sic] sociétaires. L’excellence
de la nourriture, et la gaieté des travaux en courtes séances sous tente
mobile, seront deux moyens puissants pour affectionner chacun au régime
sociétaire, dès les premiers jours d’installation 6 . »
    Pour l’essentiel, c’est le programme proposé aux lecteurs du
Phalanstère. Il ne pèche pas, c’est le moins qu’on puisse dire, par excès de
précision. Les détails aux yeux de Fourier étaient superflus puisque les
lecteurs intéressés pouvaient toujours se reporter à ses ouvrages de fond. Les
questions de financement ne semblaient pas non plus le préoccuper outre mesure
: il était persuadé que, dès que serait posée la première pierre de la Phalange
d’essai, les investisseurs viendraient le supplier d’accepter leur contribution
:
    En tablant sur un devis de 4 millions, l’on devra
commencer les travaux dès qu’on aura 500 000 francs ; car l’aspect des
dispositions, leur étrangeté, leur contraste avec les méthodes actuelles,
seront un garant de vogue subite. En voyant la distribution des jardins,
étables, et surtout des communications couvertes, on pressentira que le genre
humain va entrer dans un nouveau monde industriel [...]. Alors l’entreprise
obtiendra plein crédit. Les actionnaires afflueront, les actions hausseront 7 .

II
    Durant les mois de juin et de juillet 1832, alors qu’ils lancent
à peine leur journal, Fourier et ses disciples se trouvent confrontés à des
problèmes éminemment pratiques : collecter des fonds et trouver un terrain
propice à l’établissement de la Phalange d’essai. Bien que les rapports qui
paraissent de temps à autre dans Le Phalanstère soient invariablement
optimistes, les problèmes sont bien plus difficiles à résoudre qu’on ne
l’escomptait. Fin août, l’on a certes réuni de nombreuses promesses de soutien
financier, mais elles ne seront confirmées qu’une fois créée la Société de
fondation. Très peu d’actions ont été réellement vendues. Quant au terrain
idéal, Fourier a souvent précisé dans ses divers écrits qu’il devait se situer
à une journée de la capitale afin que l’on ne perde pas l’essentiel « bénéfice
des curieux ». C’est compter sans les prix fonciers prohibitifs des environs de
Paris. Les disciples élargissent leur périmètre de prospection et s’enquièrent
de propriétés situées en Normandie, en Touraine, en Vendée, voire dans les
Landes. Mais quand le sol n’est pas aride, le prix est trop élevé. Fourier
entreprend personnellement d’intéresser de riches philanthropes au don d’un
terrain pour l’expérience, et obtient de Laîsné de Villevêque un domaine de 20
000 arpents... au Mexique 8 !
    Le 19 juillet, Le Phalanstère met ses lecteurs à contribution.
Il s’agit de trouver un terrain réunissant les propriétés suivantes: une
superficie de 12 à 15 000 hectares, un relief vallonné, une terre propice à la
culture d’une grande variété de fruits et légumes ; bois, champs et voies
navigables sont de rigueur, mais, en bons fouriéristes, les éditeurs précisent
que le terrain n’a pas à permettre la culture des céréales. Bien que la nature
d’éventuels bâtiments importe peu, il y aurait « bon parti à tirer [...] d’un
vaste château ». Quant au paiement, les propriétaires se voient proposer un
généreux remboursement constitué d’actions en échange de la mise à disposition
d’un terrain 9 .
    Début août 1832, une assemblée générale des futurs actionnaires
est convoquée à Paris. Afin de rendre l’entreprise plus alléchante aux yeux des
investisseurs potentiels, l’on décide de constituer l’association fondatrice en
société anonyme (société d’actions à responsabilité limitée), plutôt qu’en
société en commandite par actions (partenariat dirigé par un gérant à
responsabilité financière illimitée), formule la plus courante à l’époque. Mais
la démarche requiert l’aval du ministère : dans l’attente de cette
autorisation, les disciples se voient contraints d’ajourner la fondation
officielle de la société 10 .
    Just Muiron est venu à Paris pour l’assemblée générale. L’une de
ses « conversations écrites » avec Fourier montre combien les espoirs de ce
dernier sont encore grands à ce stade du projet :
    Notre gage de succès est de travailler sur