Frontenac_T1
latines ou dâobscures théories sans fondement. Il était efficace et sans prétention. Quand il ne savait pas traiter, il le disait sans ambages. Mais il avait la main dure... Cet abcès bourré de pus qui bourgeonnait fâcheusement sur son arrière-train depuis des jours lui donnait du fil à retordre.
â Il va finir par aboutir, monseigneur, je vous le dis. Il va aboutir.
â Mais aboutissez, justement, Brouat, aboutissez, je ne demande que cela. Ãa fait bien trois jours que vous vous acharnez sur ce phlegmon. Vous me lâavez enduit de pommades, de lotions désinfectantes, de dessiccatifs, vous me lâavez comprimé, ponctionné, vidé et tripoté, tordu et trituré de tous bords tous côtés, et ne voilà -t-il pas quâil enfle de plus belle. Bougre de Dieu, le voilà gros comme une pomme, à présent! Comment vais-je pouvoir me tenir assis dans une barque et me voiturer jusquâà Montréal avec une protubérance pareille? Faites quelque chose, à la fin!
â Si monseigneur insiste, je crois bien que je vais employer les grands moyens. « Aux grands moyens les grands remèdes », ne dit-on pas?
â « Aux grands maux les grands remèdes », Brouat!
Lâhomme était un peu sourd et Louis était obligé de forcer la voix pour se faire entendre.
â Câest ce que je disais, monseigneur.
Ãtendu sur le ventre et appuyé sur le bras gauche, la chemise retroussée jusquâà la taille, Louis commençait à sâénerver.
Callières lâattendait à Montréal. Des dizaines de canots chargés de fourrures et conduits par Perrot et Du Lhut étaient annoncés. Il fallait quâil y soit, tant pour accueillir les Indiens alliés que pour toucher sa part de la récolte. Il devait également récupérer le cinquième des fourrures de Tonty et de La Forest, eux aussi du voyage; câétait la condition négociée en échange du monopole quâil leur avait fait attribuer sur la traite dans les Illinois. Il attendait impatiemment cette entrée de fonds providentielle. Une entente qui serait fort profitable aux deux parties, ainsi quâà Lagny, lâintendant du commerce chargé des affaires en Canada et suppléant du ministre Pontchartrain. Louis lui versait secrètement pas moins du cinquième de ses profits, moyennant quoi ce dernier poussait ses idées à la cour et faisait jouer les contacts en sa faveur.
Duchouquet, mandé par Brouat, apparut enfin.
â Quâest-ce que je peux faire?
â Tenez-le bien, mon brave. On va tenter une solution de dernier secours, dit-il en replaçant ses lunettes.
â « Recours », Brouat, de dernier « recours ».
â Câest ce que je disais, de dernier secours. Ãtes-vous prêt, monseigneur? Je vais tenter de le vider dâun coup. Ãa va péter dur, mais aux grands remèdes les grands moyens, comme on dit chez nous. Vous lâentravez bien là , Duchouquet?
â Autant quâon peut entraver quelquâun dâaussi remuant.
â Mais allez-y quâon en finisse, Brouat... mais... Ha!
Louis faillit sâévanouir sous lâimpact de la douleur. Le coup sâétait abattu sur lui avec une telle force que le souffle lui manqua. Et le cÅur fit mine de sâarrêter. Puis il sentit gicler un liquide chaud et visqueux.
â Ãa y est! Ãa a tellement jailli que jâen ai plein mes bésicles. Ãa, câest du bon travail. Vous allez vous requinquer sur un temps riche, à présent.
â En effet, répondit Louis dans un hoquet, je me sens aussi « requinqué » que si vous mâaviez battu à coups de rondins et assis de force dans une bassine dâeau bouillante. Mais bon Dieu, avez-vous coutume de soigner les bÅufs, vous? Et avec quoi mâavez-vous asséné ce coup de grâce?
â Rien quâavec mes mains, monseigneur, fit lâautre, lâair de sâen excuser. Ou plutôt avec mon poing.
Brouat sâesclaffa, dâun rire rond et généreux. Il essuya ses lunettes avec le coin de sa cape de laine et les remit promptement. Puis il étendit devant Louis deux mains larges et fortes qui, une fois repliées, étaient grosses comme des potirons.
â Avec de pareils battoirs, vous nâavez pas besoin
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