Galaad et le Roi Pêcheur
maisons de la forteresse, tant et si bien qu’au sortir de la chapelle les trois compagnons furent épouvantés de voir l’excès de dégâts qu’elle avait causés en l’espace de quelques heures.
Le ciel s’étant quelque peu éclairci, ils contemplaient, le cœur navré, ce spectacle de désolation quand apparut, venant de la forêt, un cavalier qui paraissait fort mal en point et qui s’écriait d’une voix plaintive : « Au nom de Dieu, secourez-moi ! Je suis en grand danger ! » Ils virent alors qu’il était poursuivi par un chevalier lourdement armé, monté sur un cheval noir, et par un nain qui criait : « Tu es mort ! Tu ne nous échapperas pas ! » Et le fuyard levait les bras au ciel en répétant sans cesse : « Seigneur Dieu, prends pitié de moi ! Ne me laisse pas périr dans le grand trouble où je me trouve ! »
Les trois compagnons prirent pitié de ce malheureux qui en appelait à Notre Seigneur, et Galaad annonça qu’il le secourrait. « Non, dit Bohort, c’est moi qui le ferai. Ton bras n’est pas nécessaire pour vaincre un seul chevalier. » Galaad s’inclina : « Fais donc comme tu l’entends. » Bohort se mit en selle et dit aux deux autres : « Amis, si je ne reviens pas, ne renoncez pas pour autant à la quête mais, dès le matin, remettez-vous en chemin, chacun pour soi, et allez jusqu’à ce que Dieu veuille nous rassembler tous trois dans la demeure du Roi Pêcheur. » Ils lui dirent d’aller en toute confiance sous la garde de Dieu et lui promirent que, dès le matin, ils se sépareraient pour poursuivre leur quête. Alors, Bohort se lança à la poursuite du malheureux qu’il voulait aider.
Galaad et Perceval restèrent toute la nuit à l’intérieur de la chapelle mais, au lieu de dormir, ils prièrent Dieu de protéger Bohort en quelque lieu qu’allât celui-ci. Pendant ce temps, le vent s’était à nouveau levé, et la pluie se mit à tomber avec violence, tandis que le tonnerre grondait. La tempête ne cessa qu’au matin. Quand le jour se leva, beau et clair, Bohort et Galaad sortirent de la chapelle, montèrent à cheval et s’approchèrent de la forteresse pour savoir ce qu’il était advenu de ses habitants. Or, en parvenant à la grande porte, ils s’aperçurent que tout avait brûlé et que les remparts n’étaient plus que ruines.
Leur surprise fut plus grande encore au-delà : ils ne virent en effet ni homme ni femme qui ne fussent morts. Ils errèrent partout, déplorant ce grand dommage et la perte de tous ces gens. À la grande tour dont les murs étaient renversés, les chevaliers gisaient dans les décombres, çà et là, foudroyés. À ce spectacle, les deux compagnons se dirent que ce sort tragique devait être une vengeance divine et que pareil désastre ne serait assurément pas arrivé si les habitants du lieu ne s’étaient pas rendus coupables de graves fautes. Or, tandis qu’ils échangeaient ces tristes impressions, une voix se fit entendre, qui disait : « Voici vengé le sang des vierges que l’on répandait ici pour la guérison terrestre d’une femme aussi déloyale que débauchée qui croyait retrouver beauté et santé en sacrifiant l’innocence et la pureté. » {53}
Après avoir erré longtemps dans la forteresse en contemplant cet affreux massacre, ils découvrirent auprès d’une chapelle un cimetière planté d’arbrisseaux feuillus et où se trouvaient près de soixante belles tombes. Or, on ne voyait là aucune trace de la tempête. Ils s’approchèrent et comprirent alors que là gisaient les jeunes vierges qui étaient mortes pour avoir donné leur sang. Sur les tombes, ils purent lire le nom de toutes celles qui avaient été sacrifiées, et ils constatèrent que, parmi elles, se trouvaient douze filles issues de lignée royale. Alors, ils comprirent que la détestable coutume avait été maintenue trop longtemps dans la forteresse, et que le pays l’avait, pour son malheur, lui-même tolérée trop longtemps, puisque tant de nobles familles avaient été ainsi offensées ou détruites à cause d’une femme indigne.
Ils restèrent là, méditant tristement, jusqu’au milieu de la matinée. Puis ils quittèrent la forteresse et s’en furent vers la forêt. Avant d’y pénétrer, Perceval dit à Galaad : « C’est à présent que nous devons nous séparer et suivre chacun notre route, comme nous l’a recommandé ma sœur. Puisse Dieu nous octroyer de nous retrouver
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