Galaad et le Roi Pêcheur
homme expert en l’art de médecine et de magie passa par ici. Nous le conduisîmes auprès de notre dame, et quand il l’eut bien examinée, il nous dit qu’il connaissait le moyen de lui rendre la santé : il fallait oindre notre dame d’une pleine écuellée du sang d’une fille vierge de lignée royale. Il promettait que, cela fait, notre dame guérirait aussitôt {50} . Nous décidâmes donc de ne plus laisser passer une seule fille vierge par ici qu’elle n’eût donné une écuellée de son sang pour notre dame et maîtresse. Et, à cet effet, nous avons placé des gardes aux portes et tenons des chevaliers prêts à intervenir le cas échéant. C’est ce qui est arrivé pour vous. Et voilà quelle est l’origine de la coutume et dans quel but nous l’avons instituée. Vous en ferez ce que vous voudrez. »
À ces mots, la sœur de Perceval appela ses trois compagnons, les emmena à l’écart et leur dit : « Amis très chers, vous le voyez, cette dame est malade. Or elle peut guérir si j’en décide ainsi. Toute cette affaire dépend de moi, de moi seule, et vous-mêmes n’en pouvez rien. Je sais fort bien que si je ne lui donne une écuellée de mon sang, jamais elle ne guérira. – Par Dieu tout-puissant ! s’écria Galaad, tu es bien trop frêle et trop faible pour subir un tel traitement ! – Et moi je crains que tu n’en meures ! ajouta Perceval. – Nous ne pouvons pas renoncer, déclara Bohort. Je préfère me battre jusqu’à la mort plutôt que de risquer la vie de cette jeune fille. – Sur ma foi, répliqua Lawri, si je mourais pour cette cause, je vous assure que ce serait un honneur pour moi tout comme pour ma parenté. Sachez donc qu’il me faut m’y résoudre, autant pour ces gens que pour vous. Autrement, vous devrez reprendre le combat demain, et les pertes en seront plus grandes que ne le serait ma propre mort. Je vous le confirme : j’accomplirai ce qu’ils désirent, afin que s’apaise votre querelle qui a déjà coûté trop de souffrances et de sang. Je vous conjure de me le permettre. » Après s’être concertés, tous trois finirent par y consentir, mais bien à contrecœur.
La sœur de Perceval appela donc ceux de la forteresse et leur dit : « Soyez joyeux. Vous ne vous battrez pas demain, car je vous promets de m’acquitter envers votre coutume. » Ils l’en remercièrent grandement et lui firent fête, rendirent honneurs et services de toutes sortes aux compagnons et leur préparèrent les plus beaux lits du monde. Mais, comme à son habitude, Bohort, conformément à sa promesse, ne mangea que du pain, ne but que de l’eau, et, négligeant le lit, dormit à même le sol.
Le lendemain matin, Bohort, Galaad, Perceval et Lawri entendirent la messe. Après quoi la jeune fille demanda que l’on fît venir la lépreuse qu’elle devait guérir. Lorsque celle-ci parut, les compagnons furent aussi horrifiés qu’effrayés, car son visage était si ravage par la lèpre qu’il semblait impossible qu’elle eût pu survivre à des souffrances si inhumaines. Ils se levèrent, la firent asseoir auprès d’eux, et Lawri, ayant commandé d’apporter l’écuelle {51} , tendit son bras et se laissa ouvrir la veine avec une petite lame tranchante comme un rasoir. Le sang jaillit. Elle se signa, se recommanda à Dieu et dit à la dame : « Je risque la mort pour votre guérison. Pour l’amour de Dieu, priez pour mon âme, car voici peut-être ma fin venue. »
À ces mots, elle s’évanouit d’avoir perdu tant de sang, car l’écuelle était déjà pleine : Ses compagnons la soutinrent et tentèrent d’étancher le sang qui coulait encore de la coupure. Après un long moment de pâmoison, elle put dire à Perceval : « Ah ! mon frère bien-aimé, je meurs pour la guérison de cette femme ! Je te prie de ne pas enterrer mon corps dans ce pays mais, dès que j’aurai péri, de me déposer dans la nef qui nous a amenés ici et de la laisser aller au gré du vent et comme Dieu en aura décidé. Sache aussi, mon frère, que vous ne devez pas vous-mêmes partir avec cette nef. Prenez des chevaux et continuez votre route le long des rivages, au travers des forêts, jusqu’à ce que vous parveniez à Corbénic où réside le Roi Pêcheur qui souffre tant de sa blessure. Ce n’est pas toi qui le guériras, mais Galaad. En revanche, c’est toi qui seras plus tard proclamé Roi du Graal. Mais, je te le dis, Corbénic ne te verra pas roi. Après
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