Gauvain
moi-même j’aie jamais hésité à oser ? Jamais. Lors même que j’accomplissais des actions que le commun des mortels jugeait indignes, lors même que je défiais Dieu. Car j’ai défié Dieu, Gauvain, bien des fois, et cela sans doute parce que je suis le fils d’un diable. Enfin, tout cela n’est rien, et le monde continue à tourner comme auparavant. – Ce n’est pas sûr, Merlin, dit Gauvain. La violence et la haine planent sur le royaume, et l’on accuse trop souvent Arthur d’être un mauvais roi parce qu’il laisse régner l’injustice. – À qui la faute ? Est-ce lui qui régit le royaume de Bretagne, ou moi ? Vois-tu, Gauvain, Arthur a cru longtemps que régner consistait simplement à parader dans une cour au milieu de ses chevaliers. Ce n’était là qu’un rêve, et il se prépare des réveils douloureux, je puis te l’assurer ! – Que sais-tu donc, Merlin ? Dis-le-moi, je t’en prie. – Je sais beaucoup de choses, mais il m’est interdit de les révéler. Il appartient aux hommes d’accomplir eux-mêmes leur destin. – Mais tu peux quand même les aider ! – À condition qu’ils le veuillent, soupira la voix avec amertume. – Mais je le veux, moi, Merlin ! protesta Gauvain. Je veux accomplir mon destin ! – En es-tu capable ? – Je n’en sais rien, mais je le veux. »
Il y eut un long silence. Puis la voix retentit à nouveau, mais plus faible et plus lointaine. « Écoute-moi, Gauvain, je ne pourrai plus te parler longtemps, car ma force s’épuise à te faire parvenir ce message. Le temps des aventures n’est pas terminé, et tu dois y tenir ton rang. Si tu veux revenir au château où tu as vu la Lance qui saigne et le vieillard qui buvait la coupe de sang, tu n’as qu’un recours : celui de te présenter une nouvelle fois à la porte de ce château, muni de l’épée qui décapita Jean le Baptiste. – Je conquerrai cette épée, affirma Gauvain, dis-moi seulement où elle se trouve ! – Je ne peux plus te parler, dit la voix, qui devenait de plus en plus faible, mais sois sans crainte, le brouillard va se dissiper. – Merlin ! Merlin ! ne me laisse pas sans secours ! Parle-moi encore ! » Mais Gauvain eut beau hurler et répéter son appel, il n’obtint aucune réponse. La voix de Merlin s’était tue.
À nouveau, Gauvain se sentit accablé par une angoisse irrépressible. Le doute l’envahit : était-il capable d’accomplir son destin ? Jusqu’à présent, sa quête n’avait abouti qu’à une série de déceptions. Il se mit à pleurer et à regretter amèrement les fautes qu’il avait commises, et sa frivolité le révoltait lui-même. Ce n’étaient pourtant point les signes qui lui avaient manqué. Pourquoi donc les avoir négligés au point de tomber dans les pièges les plus grossiers et de passer auprès des choses essentielles sans même les remarquer ? Il se frappa longuement la poitrine en suppliant Dieu de lui pardonner tout le mal qu’il avait pu faire dans sa vie. Alors, un grand vent s’éleva et des tourbillons l’enveloppèrent. Peu à peu, le vent dissipa le brouillard. Bientôt, le soleil reparut dans toute sa splendeur, répandant ses rayons bienfaisants sur toute la terre. Et, regardant autour de lui, Gauvain se vit au beau milieu d’un marécage, sur un chemin qui traversait les pires fondrières qu’il eût jamais vues {30} .
12
Les Chemins d’Avalon
Triste et malheureux, quoique le temps fût admirable, Gauvain chevauchait par landes et vallées, sans savoir de quel côté se diriger, dans un pays qu’il ne connaissait pas. Soudain apparut devant lui, dans un champ, un bourgeois vêtu avec élégance et monté sur un superbe destrier. En l’apercevant, l’homme vint à sa rencontre et le salua avec une exquise politesse. Gauvain lui rendit son salut. « Seigneur, dit le bourgeois, cela me fait grand-peine de te voir errer d’un air si désemparé. Les chevaliers sont-ils toujours aussi tristes ? – Seigneur, répondit Gauvain, j’ai quelque raison d’être triste. J’accomplis une quête, mais je ne sais par où la mener à son terme. – Que cherches-tu donc, chevalier ? – Ne te moque pas de moi, dit Gauvain, je cherche l’épée avec laquelle a été décapité Jean le Baptiste.
— Par Dieu tout-puissant ! s’écria le bourgeois, tu vas t’exposer à de grands dangers ! C’est un roi païen qui la possède. Il se nomme Gurgaran et chacun le sait cruel et pervers. De nombreux
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