Gisors et l'énigme des Templiers
machiavélique,
Urbain II va indiquer la voie de ce salut : au lieu de se battre
contre les Chrétiens, au lieu d’être coupables de meurtres envers leurs propres
frères, ces chevaliers – uniquement bons à se battre, c’est leur fonction –
n’ont qu’à s’en aller en Terre sainte délivrer le tombeau du Christ qui est aux
mains des Infidèles. « Qu’ils soient désormais des chevaliers du Christ,
ceux-là qui n’étaient que des brigands ! Qu’ils luttent à bon droit contre
les barbares, ceux-là qui se battaient contre leurs frères et leurs
parents ! Ce sont les récompenses éternelles qu’ils vont gagner, ceux qui
se faisaient mercenaires pour quelques misérables sous [30] ! »
Cet appel grandiloquent, et qui a été mûrement préparé, est
aussitôt entendu. En cette fin du XI e siècle, en
Europe, et surtout en France, la classe des petits nobles et des chevaliers est
particulièrement nombreuse et agitée. À vrai dire, on ne sait trop quoi faire
de ces guerriers turbulents et avides de butin. Et voici qu’on leur offre le
moyen de satisfaire leurs appétits et leur enthousiasme belliqueux à moindres
frais. Ils pourront acquérir du butin et des terres nouvelles, s’établir enfin
sur un sol qui leur appartiendra. De plus, au lieu d’encourir les foudres de la
justice royale et la réprobation de l’Église – avec son cortège d’anathèmes,
d’excommunications et de menaces infernales –, les voici absous d’avance et
sûrs de gagner le paradis. La méthode n’est pas nouvelle. Elle a été utilisée
de nombreuses fois dans l’Histoire. Quand certains individus deviennent trop
encombrants dans une nation, et qu’ils menacent cette nation de
l’intérieur , on les envoie à l’extérieur .
Bertrand du Guesclin fera la même chose avec les Grandes Compagnies, du temps
de Charles V. La République française, troisième du nom, en usera de même
aux moments les plus intenses de la colonisation en Afrique et en Asie. Il y a
là un double avantage. D’abord, on peut faire gagner des territoires nouveaux à
la nation ; ensuite, qu’ils survivent ou qu’ils meurent, les hommes qu’on
envoie ailleurs ne reviennent généralement pas. Bon
débarras !
L’idée de Croisade, c’est cela. Qu’on l’ait enrobée de spiritualité , qu’on ait mis en avant la gloire du Christ et
le salut des âmes, ne change rien à l’affaire. Plus tard, la Croisade évoluera,
et elle deviendra un atout économique, même si Louis IX s’en fait une
règle de conduite morale. Pour le moment, il s’agit – du moins
ouvertement – de débarrasser l’Europe des chevaliers indésirables tout
en investissant pour l’avenir. Un avenir qui est prometteur. Et, bien sûr,
l’appel de Clermont suscite des réactions enthousiastes. Une foule ardente,
mais indisciplinée, se met en route, demandant à chaque étape si ce n’est pas
là Jérusalem. Mais derrière cette masse humaine qui pille et tue les Juifs de
la vallée du Rhin, les paysans hongrois et les sujets de Byzance, des groupes
de chevaliers venus de France, d’Angleterre, des Pays-Bas et de l’Italie
normande, convergent vers Constantinople. L’empereur, très inquiet, s’arrange
pour les faire passer le plus rapidement possible et en bon ordre en Asie
Mineure. Qu’ils aillent donc chez les autres ! Les autres, ce sont les
Turcs, devenus maîtres de ces régions depuis 1071. Vainqueurs de ces mêmes
Turcs en 1097, les Croisés débouchent en Syrie du nord, assiègent Antioche en
1098, et prennent Jérusalem le 13 juillet 1099. Ivres de leur bon
droit et de leur victoire, les Croisés massacrent tout le monde. Musulmans et
Juifs confondus, voire des Chrétiens qu’ils n’avaient pas reconnus. La prise de
Jérusalem s’opère dans un bain de sang. Mais il vaut mieux que cela se passe à
Jérusalem qu’à Paris ou à Provins.
Alors s’organisent les royaumes latins du Moyen-Orient.
Godefroy de Bouillon, le chef des vainqueurs, refuse la couronne royale qu’on
lui offre, pour se contenter du titre d’avocat du Saint-Sépulcre. Mais comme il
meurt un an plus tard, c’est son frère Baudouin, comte d’Édesse, qui deviendra
le premier roi de Jérusalem, et cela jusqu’en 1118. Certains Croisés reviennent
en Europe : ils ont accompli leur vœu, qui était de délivrer le tombeau du
Christ, et aussi leur pèlerinage en Terre sainte. Après tout, la Croisade est
un pèlerinage, même s’il faut le faire les
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