Haute-Ville, Basse-Ville
allaient procéder chacun leur tour, alternant selon un principe un peu mystérieux : il n'y avait ni poursuite ni défense dans ce genre d'enquête. Ils devaient avoir au préalable tiré au sort le moment de leur intervention.
Le juge Montpetit ouvrit la séance en rappelant les faits importants de cette affaire : la disparition de Blanche Girard, la découverte de son cadavre, la présentation du rapport d'autopsie du docteur Grégoire et les conclusions de l'enquête du coroner. Tout le monde dans la salle se rappelait ces événements, le juge Montpetit ne s'inquiéta pas du tout de faire perdre leur temps aux spectateurs. Le magistrat lit son résumé d'une voix lente et monotone. Il enchaîna ensuite sur la nature de l'enquête qui s'ouvrait:
— Comme circulent, depuis deux semaines, des rumeurs susceptibles de conduire la population à douter du système de justice, à cause de diverses publications, précisa-t-il, le procureur général de la province a décidé de tenir cette enquête. Il a demandé aux responsables de ces publications, les directeurs de L'Evénement et du Franc-Parleur, de joindre leurs noms a cette demande.
Renaud sourit à ces mots. Descôteaux avait été fort habile. En prenant l'initiative de l'enquête, il s'affichait comme le champion de la vérité. En s'associant deux adversaires politiques, il faisait de l'opération une procédure transcendant les différences de parti. Ceux-ci ne pouvaient se dérober sans passer pour de parfaits imbéciles.
Le premier témoin fut le directeur de l'Evénement, un vieux monsieur distingué, embarrassé de se trouver là. Il prêta serment, puis Laurent Marchais lui demanda :
— Vous avez publié, il y a deux semaines, un article allumant l'existence de témoins nouveaux dans l'affaire Blanche Girard ?
— En effet.
— Selon cet article, des personnes auraient aperçu Blanche Girard dans une voiture, en compagnie de quelques jeunes hommes, dans la soirée du 3 juillet dernier.
— C'est ce que cet article disait.
L'homme paraissait troublé. Son malaise augmenta avec la prochaine question, facile à deviner :
— Etes-vous en mesure de donner ici les noms de. ces témoins ?
— Non, je ne le puis pas.
Il y eut un murmure déçu dans la salle. Celles et ceux qui s'attendaient à des révélations-chocs commencèrent à désespérer. Le libéral Laurent Marchais leva les yeux au plafond, l'air de dire «Je le savais, ils nous font perdre notre temps.»
Il n'avait pas d'autres questions. Alain Touchette se leva à son tour et demanda :
— Y a-t-il quelqu'un au journal capable de donner ces noms ?
— Bien sûr, le journaliste qui a écrit cet article.
Les conservateurs présents retrouvèrent leur contenance, les libéraux s'agitèrent un peu sur leur chaise, inquiets. Le journaliste fat appelé à témoigner à son tour. Il s'agissait d'un tout jeune homme aux vêtements élimés. Travailler dans un quotidien d'opposition ne devait pas bien faire vivre son homme, à Québec. Il semblait cependant tout fier de se trouver le centre d'intérêt de cette assemblée. C'était son moment de gloire.
— Vous êtes l'auteur de l'article évoqué par mon collègue ? lui demanda Alain Touchette dès qu'il eut prêté serment.
— Oui, c'est bien moi, répondit-il d'un ton défiant quiconque de vouloir lui retirer ce mérite.
— Etes-vous en mesure de nommer ces mystérieux témoins ?
—Je peux en nommer deux. Cependant, je n'en ai rencontré qu'un seul.
Un air de mystère effleura son visage.
— Comment s'appelle le témoin que vous avez rencontré ?
— Il s'agit de madame Gertrude Fortier.
— Comment avez-vous entendu parler d'un autre témoin ?
— Raoul Richard l'a déniché. Il m'a montré ses notes après l'avoir interrogé.
Renaud esquissa un mauvais sourire à l'allusion au petit imprimeur. Celui-ci devrait bientôt étaler ses sources d'inspiration.
— Votre Honneur, continua Alain Touchette en s'adressant au juge, comme monsieur Richard témoignera plus tard aujourd'hui, je propose que nous nous limitions au seul témoin que notre jeune journaliste connaît.
Le juge Montpetit consulta Laurent Marchais du regard. Le libéral acquiesça. Tout cela avait été convenu à l'avance, afin que les choses se déroulent plus rondement. Il convenait toutefois de respecter le rituel habituel.
— Cela me semble
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