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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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La faille se trouvait là.
    —    Vous étiez à quelle distance de cette personne ?
    —    Tout près. J'étais sur le trottoir, elle était à l'arrière d'une auto stationnée.
    —    Que faisait-elle?
    —    Elle était comme penchée. Non, ce n'est pas cela, elle était à genoux sur le plancher de la voiture, entre les deux banquettes, comme si elle cherchait quelque chose par terre.
    Dans un monde pétri de bienséance, pourquoi ces garçons la laissaient-ils dans cette posture, au lieu de se charger eux-mêmes de retrouver l'objet égaré? Le professeur de droit doutait de plus en plus du bien-fondé de ce récit.
    —    Cette jeune femme paraissait être là de son plein gré, donc. Elle a dit quelque chose ? Elle a appelé à l'aide ?
    —    Non. Les garçons avaient l'air de la chatouiller. En tout cas, ils la touchaient et ils riaient. Elle leur disait d'arrêter, de la laisser se relever. Elle avait l'air fatiguée de se faire taquiner.
    —    Si elle était penchée vers le plancher de la voiture, comment avez-vous vu son visage ?
    —    Elle s'est relevée un moment.
    La réponse était mal assurée. Après coup, le témoin paraissait trouver la scène un peu étrange. Comme si sa posture entre les banquettes prenait un sens nouveau.
    —    Vous avez vu son visage assez longtemps pour vous rappeler ses traits une semaine plus tard. C'est plutôt remarquable. Quelque chose a dû attirer votre attention. Un signe particulier ?
    —    Elle semblait avoir peur. C'est pour cela que je me suis rappelé d'elle.
    Laurent Marchais ne cachait pas son scepticisme. Il alla vers sa table, prit un vieux numéro du Soleil et revint vers le témoin. Il lui tendit le journal en disant:
    —    C'est bien cette photo que vous avez vue ?
    Elle fit un « oui » excédé.
    —    Décrivez-la-moi.
    Comme elle levait un regard interrogateur, il précisa :
    —    Dites-moi ce que vous voyez sur la photographie.
    —    Une jeune femme dehors. On dirait les chutes Montmorency derrière.
    —    Est-elle debout, assise, couchée ? Quel genre de vêtements porte-t-elle ?
    —    Elle est debout. Elle porte une robe.
    La vieille dame revêche ne dissimulait plus son impatience.
    —    Quelle est la couleur de ses cheveux ?
    —    Ils semblent bruns, ou noirs.
    —    Celle de ses yeux?
    —    On ne voit pas, c'est en noir et blanc.
    Elle regardait l'avocat comme s'il s'agissait de l'idiot du village, pour poser des questions pareilles.
    —    Est-ce qu'elle sourit?
    —    Je ne suis pas sûre. La photo n'est pas très claire.
    —    C'est vrai. C'est tellement flou qu'on ne sait pas si elle sourit.
    Laurent Marchais se tourna vers le juge Montpetit en lui tendant une photographie.
    —    Voici l'original de cette photo, publiée dans Le Soleil du 10
    juillet. Elle a été prise par John Grâce lors d'un pique-
    nique de la chorale de la paroisse Saint-Roch aux chutes Montmorency. J'en ai aussi une copie pour mon savant confrère. Cette photographie est floue, et la reproduction dans le journal n'améliore pas les choses, au contraire. Elle a sans doute bougé un peu la tête au moment du déclic. On ne voit pas bien les traits du visage.
    Il se retourna vers Gertrude Fortier et demanda :
    —    C'est bien en voyant cette photographie dans le journal que vous vous êtes dit: «Tiens, je connais cette femme! Je l'ai vue la semaine dernière dans une voiture rue Saint-Vallier. »
    —    Oui, c'est ça.
    Elle devenait de plus en plus méfiante.
    —    Vous l'avez regardée longtemps, pour la reconnaître ainsi une semaine plus tard, grâce à une photographie si floue que vous ne savez pas si elle sourit. Combien de temps ?
    —    Je ne sais pas. Pendant un petit moment.
    —    Assez longtemps pour fixer dans votre mémoire ses traits, et vous en souvenir en voyant cette mauvaise photo ?
    —    J'ai reconnu aussi sa robe. Elle portait la même que sur la photo, ce jour-là.
    La justification porta. Les libéraux perdirent un instant leur sourire triomphant; les conservateurs retrouvèrent le leur. «A sa place, songea Renaud, je dirais que des centaines de femmes doivent posséder la même à Québec. » Marchais parut juste un moment ennuyé, puis joua un coup de dé.
    —    Quelle était la couleur de sa robe ?
    Au moment où Gertrude Fortier posa les yeux sur le journal encore dans ses mains, il ajouta :
    —

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