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HHhH

HHhH

Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
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ses généraux.
    Pour Himmler, la SS est un
ordre de chevaliers. Lui-même se prend pour le descendant d’Henri l’Oiseleur,
le roi saxon qui, en repoussant les Magyars, au X e  siècle, posa
les fondations du Saint Empire romain germanique et passa le plus clair de son
règne à exterminer des Slaves. En se réclamant d’un tel lignage, le
Reichsführer avait besoin d’un château. Quand il a trouvé celui-ci, c’était une
ruine. Il a dû faire venir quatre mille prisonniers de Sachsenhausen pour le
remettre en état. Près d’un tiers sont morts pendant les travaux mais,
désormais, l’édifice se dresse impérieusement au-dessus de l’Alme qui coule
dans la vallée. Ses deux tours et son donjon, reliés par des remparts, forment
un triangle dont la pointe, tournée vers la Thulé mythique, terre natale des
Aryens, représente l’ Axis mundi , le centre symbolique du monde.
    C’est précisément là, au cœur
du donjon, dans l’ancienne chapelle rebaptisée Obergruppenführersaal ,
que se tient la réunion organisée par Himmler, à laquelle Heydrich n’a pas pu
échapper. Au milieu de cette grande pièce circulaire, les plus hauts
dignitaires SS sont rassemblés autour d’une énorme table en chêne massif, que
leur chef a souhaitée ronde et à douze places afin de reproduire la symbolique
de la geste arthurienne. Mais la quête du Graal du Reich en 1941 se présente un
peu différemment de celle de Perceval : « Affrontement ultime entre
deux idéologies… nécessité de s’emparer d’un nouvel espace vital… »
Heydrich connaît ce refrain par cœur, comme à l’époque la totalité des
Allemands. « Question de survie… lutte raciale sans pitié… vingt à trente
millions de Slaves et de Juifs… » Ici Heydrich, friand de chiffres, doit
dresser l’oreille : « Vingt à trente millions de Slaves et de Juifs
périront par les actions militaires et les problèmes d’approvisionnement en
nourriture. »
    Heydrich ne laisse rien
paraître de son irritation. Il fixe le magnifique soleil noir incrusté de runes
qui est dessiné dans le marbre du sol. Actions militaires… problèmes
d’approvisionnement… on n’est pas plus évasif. Heydrich sait pertinemment que
sur certains sujets sensibles il faut éviter d’être par trop explicite, mais
vient toujours un moment où il faut appeler un chat un chat et il peut
légitimement penser que ce moment est venu. Ou sinon, faute de consignes
claires, les hommes risquent de faire n’importe quoi. Or, c’est lui qui a la
responsabilité de cette mission.
    Lorsque Himmler lève la
réunion, Heydrich traverse à la hâte les couloirs encombrés d’armures, blasons,
tableaux, signes runiques en tout genre. Il sait qu’ici travaillent en
permanence des alchimistes, occultistes, mages, sur des problèmes ésotériques
dont il n’a cure. Voici deux jours qu’il est coincé dans cet asile de fous, il
veut rentrer à Berlin au plus tôt.
    Mais dehors, les nuages se sont
entassés dans la vallée et s’il tarde trop, son avion ne pourra pas décoller.
On le conduit au champ de manœuvre où c’est à lui que revient l’honneur de
passer les troupes en revue. Il se dispense de longs discours et file entre les
rangs. C’est à peine s’il jette un œil sur le ramassis d’assassins sélectionnés
pour aller exterminer les sous-hommes de l’Est. Au total, près de trois mille
hommes. Leur tenue, de toute façon, est impeccable. Heydrich s’engouffre dans
l’avion qui l’attend, moteurs en marche, en bout de piste. Il décolle juste
avant que l’orage éclate. Sous des trombes d’eau, les troupes des quatre
Einsatzgruppen se mettent immédiatement en marche.
104
    À Berlin, il n’y a pas de table
ronde ni de magie noire, l’ambiance est bureaucratique et Heydrich rédige
studieusement ses directives. Göring lui a demandé de faire court et simple. Le
2 juillet 1941, soit quinze jours après le déclenchement de
« Barbarossa », il fait diffuser cette note auprès des responsables
SS opérant derrière le front :
    « Sont à exécuter tous les
fonctionnaires du Komintern, les fonctionnaires du Parti, les commissaires du
peuple, les Juifs occupant des fonctions au sein du Parti ou de l’Etat, les
autres éléments radicaux (saboteurs, propagandistes, francs-tireurs, assassins,
agitateurs). »
    Simple en effet mais prudent
encore, et même curieux : pourquoi cette précision sur les Juifs
fonctionnaires alors que les

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