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HHhH

HHhH

Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
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des années après, réécrite par celui qui recueille son témoignage,
et ensuite par le traducteur. Du coup, Heydrich, la bête blonde, l’homme le
plus dangereux du Reich, disant : « Si vous croyez pouvoir vous
moquer de moi, Naujocks, vous feriez mieux d’y réfléchir à deux fois », ça
fait con. Il est beaucoup plus vraisemblable qu’Heydrich, personnage grossier
et imbu de sa puissance, alors en colère, ait balancé quelque chose
comme : « Vous voulez vous foutre de ma gueule ? Prenez garde,
je vais vous arracher les couilles ! » Mais que vaut ma vision des
choses face à un témoin direct ?
    Si cela ne tenait qu’à moi,
j’écrirais :
    — Dites-moi, Naujocks, où
ai-je passé la nuit ?
    — Je vous demande pardon,
mon général ?
    — Vous avez parfaitement
compris la question.
    — Eh bien… je ne sais pas,
mon général.
    — Vous ne savez pas ?
    — Non, mon général.
    — Vous ne savez pas que
j’étais chez Kitty ?
    — …
    — Qu’avez-vous fait de
l’enregistrement ?
    — Je ne comprends pas, mon
général.
    — Arrêtez de vous foutre de
ma gueule ! Je vous demande si vous avez gardé l’enregistrement !
    — Mon général… je ne
savais pas que vous étiez là !…. Personne ne m’a prévenu !
Naturellement, j’ai détruit l’enregistrement dès que je vous ai reconnu… enfin,
dès que j’ai reconnu votre voix !….
    — Arrêtez de jouer au con,
Naujocks ! Vous êtes payé pour tout savoir, et spécialement où je suis,
parce que c’est moi qui vous paie ! À l’instant même où je prends une
chambre chez Kitty, vous fermez les micros ! La prochaine fois que vous
essayez de vous foutre de ma gueule, je vous expédie à Dachau où on vous pendra
par les couilles, est-ce que je suis clair ?
    — Très clair, mon général.
    — Foutez-moi le
camp !
    Ce serait, me semble-t-il, un
peu plus réaliste, un peu plus vivant, et probablement plus proche de la
vérité. Mais ce n’est pas sûr. Heydrich pouvait être ordurier, mais il savait
aussi jouer le bureaucrate glacial quand il le fallait. Donc à tout prendre,
entre la version de Naujocks, même déformée, et la mienne, il vaut sans doute
mieux choisir celle de Naujocks. Cependant je reste persuadé qu’Heydrich, ce
matin-là, aurait bien voulu lui arracher les couilles.
103
    Par l’une des très hautes
fenêtres de la tour nord du château de Wewelsburg, Heydrich contemple la plaine
de Westphalie. Au milieu de la forêt, il peut apercevoir les baraquements et
les clôtures barbelées du plus petit camp de concentration d’Allemagne. Mais
probablement son attention est-elle davantage retenue par le champ de manœuvre
sur lequel s’activent les troupes de ses Einsatzgruppen. Le déclenchement de
« Barbarossa » est prévu pour dans une semaine. Dans deux, ces hommes
seront en Biélorussie, en Ukraine, en Lituanie, et ils entreront en action. On
leur a promis qu’ils seraient rentrés chez eux à Noël, une fois leur travail
achevé. En réalité, Heydrich n’a aucune idée de la durée de la guerre qui se
prépare. Au sein du parti et de l’armée, pourtant, tous ceux qui sont dans la
confidence rivalisent d’optimisme. Les prestations de l’Armée rouge, médiocres
en Pologne, franchement lamentables en Finlande, laissent espérer un succès
rapide de la toujours invincible Wehrmacht. Sur la foi des rapports du SD,
Heydrich est toutefois plus circonspect. Les forces de l’ennemi, le nombre de
ses chars, par exemple, ou celui de ses divisions de réserve, lui semblent
dangereusement sous-évalués. Mais le haut commandement des forces armées, qui
dispose, en l’Abwehr, de son propre service de renseignement, a préféré ignorer
les mises en garde d’Heydrich pour se fier aux conclusions plus encourageantes
de l’amiral Canaris, son ancien maître. Heydrich, pour qui son renvoi de la
marine reste une blessure jamais refermée, doit en étouffer de rage. Hitler a
pourtant déclaré : « Le début d’une guerre ressemble toujours à
l’ouverture d’une porte dans une pièce plongée dans l’obscurité. On ne sait
jamais ce qui s’y cache. » C’est admettre implicitement que les mises en
garde du SD ne sont peut-être pas sans fondement. Mais la décision d’attaquer
l’Union soviétique a quand même été prise. Heydrich observe avec inquiétude les
nuages qui s’amoncellent sur la plaine.
    Derrière lui, il entend la voix
d’Himmler qui s’adresse à

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