Hiéroglyphes
charnières
et autres. Travaux de pure routine qui me fournissaient l’occasion
d’interroger sans cesse mon hôte forgeron :
« Y
a-t-il des souterrains, dans cette ville, où quelque chose de
précieux pourrait être enterré depuis des
siècles ? »
Jéricho
aboyait dans un rire :
« S’il
y a des souterrains à Jérusalem ? Toutes les caves
communiquent avec un labyrinthe de tunnels désaffectés
et de ruelles oubliées. N’oublie pas que la ville a été
mise à sac par la moitié des nations de la planète,
y compris les croisés. On y a tranché tant de gorges
que ce n’est pas de l’eau qui devrait couler sur les
murs, mais du sang. Ce ne sont que ruines sur ruines sur encore
d’autres ruines, sans parler du dédale des cavernes
naturelles et des carrières abandonnées. Souterrains ?
Jérusalem est bien moins étendue au niveau du sol que
sous terre !
— Ce
que je cherche y a été enterré par les anciens
Israélites. »
Il
rugit :
« Ne
me dis pas que tu cherches l’arche d’Alliance !
C’est un mythe conçu par des esprits déréglés.
Peut-être aurait-elle séjourné quelque temps dans
le temple de Salomon, mais aucune chronique n’en parle depuis
que Nabuchodonosor a détruit la cité et exilé
les juifs, en 586 avant Jésus-Christ.
— Non,
non, ce n’est pas à ça que je pensais. »
Mais,
en fait, je mentais, car j’avais espéré,
vaguement, que l’arche me mènerait au livre, ou que les
deux pouvaient avoir été cachés au même
endroit. « Arche » signifie « boîte »,
et l’arche d’Alliance était la boîte en bois
d’acacia plaqué de feuilles d’or dans laquelle les
Hébreux chassés d’Égypte avaient rangé
les tables de la Loi. Tout naturellement, je m’étais
demandé si, en plus des dix commandements, elle ne
renfermerait pas le Livre de Thot puisque, d’après
Astiza, Moïse s’en serait emparé. Mais ce n’était
pas le moment d’aborder le sujet. Pas encore.
« Compris !
Il faudrait une éternité pour explorer la Jérusalem
souterraine d’un bout à l’autre, et je suppose
qu’à la fin on se retrouverait avec encore plus de
surface à fouiller. Sans récolter autre chose que bleus
et crottes de rat ! »
*
* *
Miriam
était une femme paisible, mais je découvris,
graduellement, que sa tranquillité extérieure voilait,
outre une intelligence aiguë, un intérêt passionné
pour les choses du passé. Si différente que sa
personnalité pût être de celle d’Astiza,
dans ce double domaine elles étaient jumelles.
Au
début de mon séjour, elle nous avait préparé
nos repas et servis à table, mangeant elle-même dans sa
cuisine. C’est seulement après avoir gagné, par
mon assiduité au travail de la forge, l’estime et la
confiance de Jéricho que je parvins à les convaincre,
l’un comme l’autre, de prendre nos repas en commun. Nous
n’étions pas musulmans, après tout, et leur
réticence me surprenait.
Au
début, contrairement à Astiza, elle ne parlait que
lorsqu’on lui adressait la parole, sans jamais trahir la
moindre velléité d’avoir autre chose à
dire. Ainsi que je l’avais tout de suite soupçonné,
elle avait cette beauté rare qui fait penser à des
fruits et à de la crème, mais n’accepta qu’à
contrecœur d’ôter enfin son fichu serre-tête.
Sa
chevelure, libérée, était une cascade d’or
vivant, aussi blonde qu’Astiza était brune. Elle avait
un long cou harmonieux et de jolies pommettes saillantes. Je faisais
preuve d’une chasteté ostensible, toute recherche
d’aventure possédant à peu près autant de
chances de se réaliser, à Jérusalem, que la
rencontre d’une vierge dans les tripots clandestins de la
capitale française. Autant me complaire, par conséquent,
dans ma vertu forcée, mais je m’étonnais que tant
de beauté n’eût pas été déjà
revendiquée par quelque prétendant.
La
nuit, je percevais le clapotis de ses ablutions verticales, sur une
bassine de bois trop petite pour s’y asseoir, et ne pouvais
m’empêcher d’évoquer ses seins et ses
hanches, la rondeur de sa croupe et les longues jambes galbées
que mon cerveau frustré se représentait sous le
ruissellement de l’eau savonneuse sur son ventre, ses cuisses,
ses mollets, et ses chevilles. Je grognais dans mon insomnie,
essayais de ne penser qu’à l’électricité
et recourais finalement à la bonne vieille méthode
manuelle.
Au
souper, elle parlait toujours aussi peu, mais
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