Hiéroglyphes
prenait plaisir à
nos conversations animées. Frère et sœur étaient
des gens qui avaient voyagé à travers le monde, et que
je captivais avec mes propres histoires de Paris, de mon adolescence
en Amérique et de mes premiers démêlés
commerciaux sur les Grands Lacs, tout au long du Mississippi et
jusqu’aux Caraïbes. L’Égypte les intéressait
également beaucoup. Je ne leur parlais pas des secrets de la
Grande Pyramide, mais leur décrivais le Nil, mes batailles de
l’année précédente et le temple de
Dendérah que j’avais visité, loin dans le sud.
Jéricho
m’en disait davantage sur la Palestine, la Galilée que
Jésus avait marquée de ses pas et les sites chrétiens
que je devrais visiter sans faute, sur le mont des Oliviers. Après
mainte hésitation, Miriam prononça quelques paroles qui
me permirent de constater que, à ma grande surprise, elle en
savait sur la Jérusalem historique beaucoup plus long que je
ne l’imaginais. Plus, en fait, que son propre frère. Non
seulement elle savait lire, un exploit pour une femme en terre
musulmane, mais elle lisait beaucoup, libre de toute contrainte
maritale ou maternelle, des livres qu’elle achetait au marché
ou bien empruntait aux religieuses des couvents locaux.
Quand
je lui demandais ce qui la passionnait ainsi, elle me répondait :
« Le
passé. »
Jérusalem
en était imprégnée, du passé. Dans un
présent statique où la neige de l’hiver habillait
les ruines anonymes d’une fine poudre blanche, sous un soleil
sans chaleur qui allongeait les ombres.
Lentement,
mon fusil prenait forme, dans les mains infaillibles de Jéricho.
Quand le canon eut été forgé jusqu’au
bout, je participai à son alésage, tournant la
manivelle à mesure qu’il la poussait doucement vers moi.
Un travail dur et de longue haleine. Lorsque ce fut fait, il sonda le
canon, longuement, d’un œil expert, afin d’y
détecter toute imperfection éventuelle. Un
réchauffement de plus et des martèlements méthodiques
rendirent le tube parfaitement rectiligne.
Le
tracé des rayures hélicoïdales qui feraient
pivoter les balles fut un travail de précision épuisant
pour les nerfs. Sept rayures en tout, réalisées à
la main, à raison de deux cents manipulations par rayure. Et
ce n’était que le commencement. Il restait à
polir et bleuir le métal, puis à forger les pièces
mobiles, chien, verrou, détente et le reste. Mon fusil prenait
forme, lentement, sous les mains savantes de Jéricho. J’y
participais de mon mieux, mais c’était lui l’artiste
capable d’exécuter, avec ses grosses pattes musclées,
des prouesses dignes d’une tricoteuse avec ses aiguilles.
Travailler en silence le comblait de bonheur.
Miriam
me surprit un jour en me demandant la longueur de mon bras et la
largeur de mes épaules. Il se révéla que c’était
elle qui se chargerait de la crosse, une pièce importante qui
devait s’adapter au physique du tireur comme un manteau fait
sur mesure. Elle s’était portée volontaire pour
ce travail délicat.
« Elle
a l’œil d’une artiste, m’expliqua Jéricho.
Montre-lui comment tu manieras l’ensemble, dans un proche
avenir. »
Il
n’y a pas d’érable en Palestine. On se rabattit
sur l’acacia du désert, le bois de l’arche
d’Alliance. Plus lourd que je ne l’aurais souhaité,
mais dur et facile d’emploi. Le dessin que je lui soumis
différait notablement des crosses arabes, mais elle la conçut
en courbes gracieuses, plus conformes aux armes pennsylvaniennes.
Quand elle s’assura de mes mensurations pour déterminer
la longueur adéquate, je me mis à trembler, sous ses
doigts, comme un vrai puceau.
Ma
chasteté subissait une dure épreuve.
De
temps en temps, j’envoyais à Smith des conclusions
politiques et militaires à rendre perplexe tout stratège
de bonne foi. J’espérais qu’il n’en
tiendrait aucun compte, et le temps passait sans incident notable.
Jusqu’à ce qu’un soir, au dîner, quelqu’un
cognât violemment à la porte de Jéricho. Il alla
voir de quoi il s’agissait et revint avec un voyageur barbu,
poussiéreux de la dernière caravane arrivée du
désert.
« J’apporte
à l’Américain des nouvelles d’Égypte »,
annonça le nouveau venu.
Mon
cœur bondit dans ma poitrine.
On
s’assit à table, on lui offrit de l’eau, car il
était musulman et ne buvait pas de vin, avec quelques olives
et une tranche de pain. Tandis qu’il nous remerciait pour
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