Histoire de France
lyonnaise était brisée. En décembre, la Vendée sera définitivement vaincue, Bonaparte se sera signalé à la reprise de Toulon, l’Alsace sera délivrée, la Belgique nous sera ouverte encore une fois. Quelques historiens se sont demandé pourquoi la Révolution ne s’était pas modérée à ce moment-là. Ils excusent la Terreur tant que « la patrie est en danger ». Ensuite ils se voilent la face devant ses excès. Une vue plus large des nécessités devant lesquelles se trouvaient Robespierre et le Comité de Salut public rend compte de la continuation du terrorisme. On oublie que l’état des finances était toujours plus désastreux, que l’abîme se creusait encore par l’énormité des dépenses militaires. Il fallait de l’argent à tout prix : la guerre devait nourrir la guerre et c’était devenu un système de « vaincre l’ennemi et de vivre à ses dépens », de conquérir pour enrichir la République. La guerre continuant, la Terreur devait continuer aussi. Mais elle servait à autre chose : elle était un instrument de confiscation. Elle servait à prendre les biens des émigrés, à spolier les suspects et les riches, dans l’illusion, qui durait depuis la Constituante, qu’on donnerait enfin une garantie solide aux assignats.
La Terreur ne pouvait donc pas s’arrêter d’un signe. Robespierre était conduit à se comporter comme un chef. Il commençait à redouter l’anarchie : le premier il osa frapper la canaille parisienne avec Hébert et les hébertistes. Tout de suite après, ce furent Danton et les dantonistes, les « indulgents », ceux qui penchaient pour une paix prématurée, qu’il envoya à la guillotine. L’illuminisme de Robespierre, son jargon prétentieux et mystique n’empêchent pas de remarquer l’insistance avec laquelle, à chacun des grands procès politiques, il parle des traîtres, des agents anglais, du rôle des banquiers, des étrangers suspects comme Anacharsis Clootz, qui pullulaient depuis les débuts de la Révolution, tout un monde bizarre, inquiétant, où il « épura » sans pitié, mais peut-être pas toujours sans discernement, et qu’il expédia à la guillotine, à côté de ce qu’il y avait en France de plus noble et de meilleur, pêle-mêle avec des innocents, des savants et des poètes. Robespierre se faisait appeler « l’incorruptible ». Il y avait donc des corrompus ? On a ici l’impression de ces histoires d’argent, de police et d’espionnage qui sont communes à tous les milieux révolutionnaires.
Au mois d’avril 1794, la Terreur dure toujours. Danton a été supprimé, Camille Desmoulins et sa Lucile aussi. Les hommes de la Révolution se sont dévorés entre eux. Seuls ont échappé les prudents et les habiles, ceux qui ont eu, comme disait Sieyès, le talent de vivre. Mais à force d’épurer la Révolution, Robespierre en a tari la sève. Lui-même, avec le jacobinisme, il est toute la Révolution. Il n’y avait plus rien après les opinions de Marat. Il n’y a plus personne après Robespierre. Il a grandi, depuis la Constituante, par les surenchères que favorisait le principe politique en vigueur depuis 1789 : pas d’ennemis à gauche. Maintenant, quelles sont ses idées ? Que veut-il ? Où va-t-il ? Il ne le sait pas lui-même. On prête à ce despote les projets les plus bizarres, et la cour de Vienne s’intéresse à « Monsieur de Robespierre ». Pourtant il n’invente plus autre chose que la fête ridicule de l’Être suprême, tandis que la guillotine fauche tous les jours, éclaircit les rangs de l’Assemblée, dégarnit jusqu’à la Montagne. Il ne restait plus guère que ceux qui, par peur, avaient dit oui à tout. Une peur suprême leur donna le courage du désespoir. Robespierre sentit que la Convention lui échappait et il voulut recourir au moyen ordinaire, celui dont l’effet, jusque-là, n’avait jamais manqué : l’intervention de la Commune. On vit alors, au 9 thermidor, cette chose extraordinaire. Les Conventionnels qui survivaient étaient les plus sagaces et les plus subtils, puisqu’ils avaient réussi à sauver leur tête. Ils s’avisèrent de ce qu’on ne semblait jamais avoir compris depuis le 10 août : que ces fameuses « journées » n’étaient au fond que de petites affaires de quartier, qu’avec un peu de méthode, d’adresse et d’énergie, il était possible de mettre les émeutiers en échec. Sur quoi reposait la Commune jacobine ? Sur
Weitere Kostenlose Bücher