Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
sabots : « Soldats, dit le ministre
Bouchotte à l’armée de l’Ouest, je vais vous parler de vos sabots.
On vous les donne gratis ; mais si vous les perdez, vous les
paierez. La patrie préviendra vos besoins avec l’attention et la
libéralité d’une mère tendre et reconnaissante des sacrifices que
vous faites pour elle ; mais vous devez, en enfants soigneux
et économes, ne négliger aucun moyen de lui éviter des embarras et
des dépenses ! »
Boursault agit mieux encore que Bouchotte ne
parle : des soldats qu’il passe en revue lui montrent leurs
pieds nus et sanglants : « Citoyens, dit le représentant
à la foule des spectateurs, que chacun de vous ôte ses chaussures
et les offre aux défenseurs de la patrie. » Et l’échange
s’accomplit sur le champ. Quant à l’argent, on en trouve en mettant
les riches à contribution ; et quiconque a un habit et un
logis propre est taxé comme riche. De pauvres familles durent
fournir des sommes qu’elles n’avaient jamais possédées ; tout
cela sous peine de suspicion, c’est-à-dire de mort.
« Nous voulons, disait le comité de salut
public, faire le bien du peuple malgré le peuple. Il faut le
contraindre à être libre ! le forcer à tous les
sacrifices ! l’imposer pour son bonheur et pour sa
gloire ! » – Le secret des lettres fut violé, non pas à
huis clos, dans un
cabinet noir
; mais publiquement,
en vertu d’une loi formelle.
C’est ainsi que la république improvisa une
nouvelle armée. Entre la guillotine et le champ de bataille, tout
le monde préféra le champ de bataille.
Cependant les chefs vendéens se distinguaient
de plus en plus par leur grandeur d’âme, et trop souvent par leurs
rivalités. Il fallait aux Vendéens de l’unité, c’est-à-dire un
régime monarchique : ce régime leur manqua, et leur
organisation trop libérale les perdit. La seule mesure que
produisit la victoire de Laval fut l’émission de neuf cent mille
livres de
bons
royaux négociables, avec prière aux fidèles
sujets de Louis XVII de les prendre en paiement ou en
indemnité. Et quand on refusait de les recevoir, on fusillait
héroïquement le soldat qui dérobait un morceau de pain. C’était
répondre saintement aux violences de la Convention ; mais
c’était aussi se résigner aux désastres que nous allons voir.
Après de longues et vaines disputes sur la
marche de l’armée, sur les propositions de l’Angleterre et sur
l’appel de la chouannerie bretonne, on se décide à gagner Rennes
par Vitré ; puis l’itinéraire change, et l’on arrive le 3
novembre à Fougères, où l’on sauve trois cents prisonniers
vendéens. On y perd ensuite quatre jours, au lieu de marcher sur
Rennes, et l’on se brouille à mort au sujet des écharpes adoptées
par les commandants. Et pourtant les paysans bretons accouraient en
foule à la voix de La Rochejacquelein, apportant des vivres, des
armes et des bras de fer. Ce merveilleux mouvement eût enlevé
l’Ouest tout entier, si les chefs vendéens se fussent entendus pour
le seconder et le diriger.
Le 4 novembre, celui que la voix publique
avait surnommé
le saint du Poitou,
Lescure, expirait, âgé
de vingt-sept ans ; après la mort de Cathelineau, ce fut une
des plus grandes pertes que pût faire l’armée vendéenne. La
nouvelle de l’exécution de Marie-Antoinette l’avait achevé.
Cependant les fièvres et les dyssenteries
décimaient l’armée : la discorde s’envenimait de plus en plus
entre les chefs. Puis l’hiver approchait ; que faire ? –
Tout à coup un transfuge se présente ; c’est d’Oppenheim,
officier du génie. Affilié au complot de Puisaye, il a tenté avec
le général Wimpfen de soulever la Normandie et le Calvados en
faveur des Girondins ; il capte la confiance des chefs
vendéens, et leur persuade d’assiéger Granville. L’arrivé de deux
envoyés du ministère anglais les détermine. Ce sont Bertin et
Freslon, deux hommes honorables ; leurs bâtons contiennent des
dépêches. On y trouve d’abord une lettre de Georges III,
offrant aux Vendéens son concours immédiat s’ils s’emparent de
Saint-Malo ou de Granville ; mais une autre lettre du marquis
Du Dresnay, chargé du mouvement royaliste en Bretagne, conseille
aux Vendéens de ne pas se fier aux promesses de l’Angleterre. Et
pourtant, le conseil, malgré l’avis de La Rochejacquelein, prend la
résolution d’assiéger Granville avec le secours d’une
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