Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
sécurité. Le commerce
protégé devint aussi florissant qu’il l’avait été sous les rois
bretons de la seconde race ; et les comtes s’empressèrent
d’imiter l’exemple de leur souverain, dans les villes soumises à
leur juridiction.
Cependant Louis d’Outre-Mer, roi de France,
était attaqué par l’empereur Othon, qui avait pour alliés Hugues
duc de France, Arnoul comte de Flandre, et plusieurs autres
princes. Alain, qui se souvenait d’avoir partagé en Angleterre
l’infortune du fils de Charles le Simple, se rendit à son camp, où
il déploya autant de valeur que de générosité. Parmi les généraux
d’Othon, qui en ce moment assiégeait Paris, se trouvait un prince
saxon qui chaque jour défiait au combat les comtes et les barons de
Louis d’Outre-Mer, et prétendait trancher ainsi, d’un seul coup
d’épée, la question de la propriété de la couronne. Sa taille
élevée, sa force, son audace, étaient telles, qu’aucun guerrier
n’avait osé répondre à son appel. Alain, indigné de ce que parmi
tant de nobles seigneurs il n’y en eût pas un qui défendît
l’honneur du roi, prit ses armes en secret et sortit, sans être vu
de personne, à la rencontre de cet arrogant ennemi. Ayant abaissé
sa visière, il s’élança sur le Saxon et le combattît à la vue des
deux armées. Les deux guerriers montrèrent une égale adresse. Le
Saxon, qui se croyait assuré de la victoire, accablait déjà le duc
de Bretagne de ses sarcasmes, quand Alain, lui donnant le coup de
la mort, lui cria : « Je te fais trop d’honneur de me
servir avec toi des nobles armes de la chevalerie, moi qui ne tue
les loups, les sangliers et les ours qu’avec un simple
bâton ! » Au même instant le colosse roulait à terre.
Alain lui trancha la tête, la suspendit à l’arçon de sa selle et
rentra dans la ville avec ce trophée, tout à la fois hideux et
glorieux, qui lui valut les acclamations du peuple et de la
noblesse, et leurs remerciements pour avoir si bien vengé l’honneur
de la France.
Alain obtint du roi Louis que tout serf ou
affranchi qui viendrait demeurer en Bretagne y pût résider franc de
toute servitude, sans crainte d’aucune revendication. Cette
convention si généreuse, et qui fait tant d’honneur au duc Alain,
contribua au repeuplement des villages que les Normands avaient
dévastés.
Cependant la reine de France, qui ne
pardonnait pas à Alain la mort du géant, son frère, tenta de le
faire empoisonner au milieu des fêtes données en réjouissance de la
paix. Averti de ce complot contre ses jours, le duc de Bretagne
regagna ses États, après avoir épousé la sœur de Thibault, comte de
Blois et de Chartres.
Peu d’années après, Alain, se sentant frappé
d’une maladie mortelle, manda son beau-frère, ses comtes, ses
barons et ses évêques, et leur parla en ces termes :
« Mes seigneurs, que croyez-vous que j’aye encore de jours à
vivre ? – Il n’est pas temps de vous occuper de pensers si
tristes, dit Thibault ; mais expliquez-nous vos volontés, et,
à la vie ou à la mort, vous nous trouverez prêts à nous y
conformer. – Je sens la mort qui s’approche, répondit le duc ;
et, plein des consolations que m’a données le révérend père en
Dieu, messire l’archevêque de Dol, je me présenterai, tout pécheur
que je suis, avec quelque peu moins de crainte, au tribunal de
notre Seigneur Jésus-Christ. Je lui raconterai tout ce que j’ai
tenté pour le bien de mon peuple, les dangers et les travaux par
lesquels j’ai passé afin de pacifier le pays, le délivrant des
Normands païens, qui sont ses ennemis, et par sa sainte grâce ayant
rendu la Bretagne libre, et rétabli chacun dans ses biens, titres
et honneurs. Or, Sire Dieu, lui dirai-je, si j’ai observé votre
sainte loi autant qu’il est possible à foiblesse humaine, ne
considérez pas mon peu de mérite ; mais daignez répandre votre
bénigne protection sur la personne de mon fils ; je le laisse
innocent et dans sa plus jeune enfance, et exposé à toutes les
entreprises, si les serviteurs et amis que vous m’aviez donnés ne
lui font service de leur loyauté, et ne le soutiennent contre les
ambitieux, méchants et jaloux. – Eh ! s’écria Thibault, ne
vous tourmentez point, beau frère de Bretagne ; notre divin
Maître donnera certes attention à votre progéniture ; mais
nous, nous voici tous prêts, à le reconnoître après vous, si à Dieu
servateur plaît de vous
Weitere Kostenlose Bücher