Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
cérémonie eut lieu avec
la plus grande magnificence. Le roi, le duc d’Anjou et le comte
d’Évreux, ses frères, et le duc de Bretagne, tinrent tour à tour la
bride du cheval du saint-père. Comme il approchait des murs de la
ville, un pan de muraille à demi ruiné et chargé d’une foule de
peuple s’étant écroulé, le duc de Bretagne fut écrasé sous les
décombres, d’où on le retira tellement mutilé, qu’il ne vécut que
deux à trois jours.
Les Bretons transportèrent le corps de leur
souverain dans l’église des Carmes de Ploërmel. Jean II fut
vivement regretté du peuple : il avait diminué les tailles,
s’était fortement opposé au paiement des droits excessifs, et
s’était gardé d’entraîner ses sujets dans les guerres que se
livraient perpétuellement les puissances.
Heureux, a dit un sage, heureux les peuples
dont l’histoire n’est pas intéressante !
Sous le règne de Jean II vivait saint
Yves, surnommé l’
Avocat des pauvres,
et que le barreau
regarda longtemps comme son patron. Né le 17 octobre de l’an 1253,
près de Tréguier, dans la basse Bretagne, il fut envoyé encore
jeune à Paris pour y faire sa philosophie : il y apprit aussi
la théologie et le droit canon. Après y avoir passé dix ans, il
étudia le droit civil à Orléans, où professaient alors de célèbres
jurisconsultes ; puis il vint remplir une petite cure près de
Tréguier : ce qui ne l’empêchait pas d’exercer la profession
d’avocat par charité, en faveur des veuves, des orphelins et des
pauvres, dont il n’exigeait aucun salaire. Il déployait dans ses
plaidoyers tant de savoir et d’éloquence, qu’il charmait tous ses
auditeurs. Indulgent et charitable envers les autres, il était pour
lui-même d’une excessive rigidité, couchant sur la dure, se privant
de vin et parfois de nourriture, pour la donner à des malheureux,
et se livrant aux mortifications des couvents les plus austères. Il
apaisait les querelles, arrangeait les procès, réconciliait les
ennemis les plus acharnés. Les juges ne l’écoutaient qu’avec
respect et le consultaient souvent.
Un jour, une veuve qui tenait hôtellerie reçut
chez elle deux hommes se disant marchands : ils lui confièrent
un sac de cuir bien scellé, contenant, assuraient-ils, douze cents
écus d’or, et lui recommandèrent de ne le remettre à aucun des deux
qu’en présence de son compagnon. À peine étaient-ils sortis, que
l’un d’eux vint réclamer la sacoche : la veuve, sans
réfléchir, la lui donna, et il s’en alla en l’emportant. Le soir
même, l’autre camarade réclama l’argent, et, apprenant que son
associé l’avait retiré, il se répandit en reproches et en injures
contre l’hôtesse, et la cita par devant le lieutenant du bailli de
Touraine.
La pauvre femme eut recours à saint Yves, qui,
après s’être bien fait raconter son affaire, lui promit de la
plaider : après avoir pris diverses informations, l’avocat des
pauvres comparut au jour fixé avec l’hôtesse. Saint Yves, voyant
que le marchand n’avait pas hésité à faire un faux serment, s’avisa
d’une ruse pour le convaincre de fourberie et le démasquer
sur-le-champ. Il dit aux juges que le sac avait été retrouvé, et
qu’il serait présenté quand la justice l’exigerait. En même temps
saint Yves pria les juges d’ordonner au demandeur de faire venir
son compagnon, en présence duquel l’hôtesse exhiberait le dépôt,
conformément à la première convention passée entre les deux
marchands. À trois jours de là, le second marchand fut arrêté pour
un autre délit ; il avoua que le sac ne renfermait que des
cailloux, et fut, ainsi que son associé, pendu au gibet de
Tours.
La souveraineté de la Bretagne comptait encore
des envieux ; mais elle ne trouvait plus de contradicteurs, et
ce
fut sans la moindre contestation que le fils aîné de
Jean II ceignit la couronne, sous le nom d’Arthur II, duc
de Bretagne, comte de Richemont.
Les exécuteurs testamentaires du feu duc
découvrirent deux trésors amassés par ce prince : le premier
dans la tour neuve de Nantes ; le second dans le château de
Sussinio, situé au bout de la presqu’île de Ruis. Ces trésors se
composaient d’une somme de 88,534 livres en argent monnayé, de 40
marcs de vaisselle d’or, et de 5,073 marcs d’argenterie ou de
lingots, sans compter les joyaux, qui étaient nombreux. Ces
valeurs, qui s’élèveraient de nos jours à plusieurs
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