Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
l’écrit qu’il produisit
par la suite pour appuyer ses droits, soutint que le feu duc son
frère, près de mourir, l’avait déclaré son successeur à la couronne
de Bretagne, et que Charles de Blois étant venu lui représenter ce
qui lui avait été promis par son mariage, le duc avait
répondu : Pour Dieu, qu’on me laisse en paix ; je ne
veûil charger mon âme ! » Charles de Blois soutint de son
côté, également dans un écrit, que le duc n’avait dit ces paroles
qu’à ceux qui lui parlaient en faveur du comte de Montfort.
Un historien moderne a admirablement précisé
le caractère de la lutte qui eut lieu entre Jean de Montfort et
Charles de Blois. On nous saura gré, nous l’espérons, de citer
textuellement ce passage, qui donne le vrai point de vue d’un fait
diversement envisagé.
« Il fut grand, mais douloureux, le
spectacle donné au monde par ces deux princes. Aucune guerre, à
cette époque, ne parut plus vaillamment conduite et plus
vigoureusement soutenue de part et d’autre. Les prétendants étaient
de même âge, pleins d’ardeur, vifs, hardis, entreprenants :
l’un, c’était Charles de Blois, sévère, rigide, religieux à
l’excès ; l’autre, Jean de Montfort, de mœurs douces, polies,
avenantes ; tous deux modèles de grandeur d’âme, remplis d’un
courage que ne pouvait ébranler l’adversité. Ils portaient
également les hermines sur leurs armes de bataille, ils avaient
mêmes enseignes, ils proféraient le même cri de guerre ; leurs
troupes se composaient de soldats d’une même nation, leurs usages
étaient semblables, ils coururent des hasards pareils, et la
conformité de leurs aventures est des plus surprenantes. Vainqueurs
tour à tour dans les escarmouches et les combats, ils balancèrent
longtemps la fortune ; toutefois Montfort l’emporta le plus
souvent, et Charles de Blois, dont on estimait les vertus austères
et l’inébranlable équité, fut jugé malheureux dans l’exécution,
quoique toujours des premiers au danger. Ils emportèrent des villes
d’assaut, ou les gagnèrent par des traités ; ils se chassèrent
alternativement et furent chassés ; ils devinrent prisonniers
l’un de l’autre ; rendus à la liberté, ils n’en continuèrent
pas avec moins d’acharnement leur querelle envenimée, et la mort du
comte de Blois ne fut pas même le signal de la paix des
peuples.
« Mais ce qui parut digne d’une éternelle
admiration, ce fut la conduite magnanime de leurs nobles compagnes.
La comtesse de Montfort, la comtesse de Blois, loin de se laisser
abattre par les revers, inspirèrent un nouveau courage aux partis
chancelants de leurs époux ; elles se présentèrent au combat à
pied comme à cheval, sur mer comme sur terre, et d’un cœur
indomptable dirigèrent leurs armées, rassurèrent les peuples
effrayés, et reconquirent tour à tour les droits incertains de
leurs enfants.
« Deux rois puissants soutenaient aussi
les deux comtes. Le roi de France protégeait son neveu Charles de
Blois, et le roi d’Angleterre appuyait de son autorité Jean de
Montfort et ses amis…
« Cent cinquante mille soldats bretons,
français, anglais, flamands, écossais, périrent dans la
querelle ; le nombre des familles indigènes qui disparurent
est incalculable. La Bretagne perdit les neuf dixièmes de sa
population ; et sa fière noblesse, qui se vantait de descendre
des compagnons de Conan, ou du plus pur sang de tous les rois de
l’Europe, regretta des ducs, des comtes, des barons, des
chevaliers, et pleura, désespérée, en comptant les races fameuses
dont il ne lui restait qu’un vain souvenir. »
Mais il est temps de raconter avec quelque
détail les principaux épisodes de la lutte mémorable dont on vient
de lire la rapide esquisse. Nous laisserons souvent parler les
chroniqueurs du temps, entre autres l’incomparable Froissard et le
vieux et patriote d’Argentré.
Jean de Montfort n’eut pas plutôt appris la
mort de son frère, qu’il se rendit à Nantes, où il fut reconnu duc
de Bretagne par les habitants de cette ville et de son territoire.
Les évêques et les barons s’assemblèrent pour délibérer à qui le
duché devait appartenir. Sept des prélats se déclarèrent pour
Montfort ; et deux d’entre eux, avec la presque totalité des
barons, conclurent que l’affaire devait être plus amplement
discutée et qu’elle demandait mûre réflexion. Jean de Montfort alla
ensuite à Limoges, suivi
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