Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
accepta. On allait se
séparer après maintes causeries intimes, lorsque le duc fit tomber
la conversation avec une négligence toute naturelle sur le château
de l’Hermine, qu’il faisait alors bâtir sur les bords de la mer,
tout près de Vannes. Soudain, s’adressant au petit nombre de
convives qui n’avaient pas quitté la table : « Beaux
seigneurs, leur dit-il, je vous prie, à votre département, que vous
veuilliez voir mon château de l’Hermine ; si verrez comment je
l’ai fait ouvrer et fais encore. »
La proposition est acceptée ; on arrive
au château. Montfort prend le bras du connétable ; le prince a
fait place à l’ami. Il montre en détail à son ancien frère d’armes
toutes les chambres de sa future résidence, le questionne sur la
meilleure distribution intérieure, et le conduit jusqu’au cellier,
où l’on vide la coupe de l’hospitalité. Le duc entraîne toujours
Olivier, qui n’est accompagné que du sire de Laval, son beau-frère.
Au pied du donjon, Jean IV, quittant le bras du connétable,
lui dit : « Messire Olivier, il n’y a homme deçà la mer
qui se connoisse mieux en maçonnerie que vous faites ; je vous
prie, beau sire, que vous montez là sus : si me sauriez dire
comment le lieu est édifié ; si il est bien, il demeurera
ainsi ; si il est mal, je le ferai amender. – Volontiers,
sire, répond Clisson en s’inclinant, je suis à vos ordres ;
or, passez devant nous, seigneur. – Je n’en ferai rien, ajoute le
duc ; allez seul, voyez, examinez tout : pendant ce temps
je causerai un petit avec le sire de Laval, avec qui j’ai
affaire. »
Le connétable monte sans défiance ; mais
il a à peine franchi le premier étage qu’il entend la porte
extérieure rouler sur ses gonds, et que des hommes armés se jettent
sur lui. Sa force herculéenne, son courage rendaient la prise
difficile. Néanmoins, à peine armé, entouré à l’improviste par de
nombreux assaillants, il succombe, et Yvonnet, l’un des écuyers du
duc, le fait attacher par une triple chaîne à la pierre d’une
chambre froide et humide. Olivier envisage alors toute l’horreur du
sort qui l’attend, et il ne doute plus que le duc n’ait résolu de
le faire périr secrètement dans cette prison. Une sueur froide
inonde son corps ; cet intrépide guerrier, qui a tant de fois
bravé la mort dans les combats, frémit à la pensée qu’il va devenir
la victime d’un lâche assassinat, et expirer sans gloire entre les
murailles d’un cachot.
Mais dès que le sire de Laval, resté à la
porte de la tour, l’avait vue se fermer sur Clisson, il craignit
d’autant plus pour les jours de son beau-frère, qu’ayant jeté les
yeux sur le duc, il le vit, dit Froissart,
plus vert qu’une
feuille.
« Ha ! monseigneur, s’écria-t-il, pour Dieu
mercy, que voulez-vous faire ? N’ayez nulle male volonté sur
beau-frère le connétable. – Sire de Laval, dit le duc, montez à
cheval, et vous partez de ci ; vous vous en pouvez bien aller,
si vous voulez ; je sais bien que j’ai à faire. – Monseigneur,
répondit le sire de Laval, jamais je ne me partirai sans beau-frère
le connétable. »
Alors survint le sire de Beaumanoir, qui
joignit ses instances à celles de Laval ; mais le duc n’en
tint compte, et, après l’avoir menacé de lui crever un œil, pour
lui faire de tous points un sort semblable à celui de Clisson, il
l’enferma dans une chambre où il fut chargé de chaînes.
Le sort de Beaumanoir ne découragea pas
Laval ; plus que jamais il conjura le duc d’abjurer ses
mauvais desseins.
Sans lui le connétable eut été mis à mort dans
la nuit même qui suivit son arrestation. On lui ôta ses fers
jusqu’à trois fois, et l’on se prépara soit à lui trancher la tête,
soit à le noyer, selon les ordres qu’envoyait le duc, et dont le
sire de Laval obtenait la révocation par ses prières. Jean de
Bazvalan partagea avec Laval l’honneur d’avoir sauvé le connétable.
Il était gouverneur du château de l’Hermine ; Montfort,
l’ayant mandé, lui dit : « Bazvalan, vous sçavez que j’ay
cest après midy faict prendre Clisson et constituer prisonnier en
cest chaste ! ; je suis résolu qu’il en mourra, et pour
ce, je vous ordonne que ceste nuict, sur la mynuict que tout le
monde reposera, vous ne faillez le plus secrètement que faire se
pourra, de le faire lier pieds et mains et le clorre en un sac, et
le jecter en l’eaue, et qu’il
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