Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
n’en soit jamais parlé ; mais
n’y faites pas faulte, c’est sur votre vie. » Vainement
Bazvalan, se jetant aux pieds du duc, le conjure d’abandonner son
projet ; vainement il lui représente les suites terribles d’un
pareil traitement exercé sur le premier officier de la couronne de
France, sur un homme si haut placé par ses exploits, ses richesses,
ses alliances. Il le supplie de ne point écouter son premier
mouvement, et de faire instruire le procès de Clisson par les
barons de Bretagne. « Pour Dieu, dit-il en terminant,
n’attachez pas à votre nom une si grande flétrissure. –
Taisez-vous, répond le duc transporté de colère, car si vous me
rebarbez plus, je vous détruirai de fond et de racine. »
Bazvalan, voyant qu’il n’y avait rien de bon à
attendre d’un homme en délire, résolut de gagner du temps. Le sire
de Laval, qu’il avait prévenu de l’état d’exaltation du duc, revint
à la charge ; il ne craignit pas de lui reprocher la déloyauté
et la barbarie de sa conduite. Ses raisons ébranlèrent Montfort.
Aussi, le lendemain matin, agité de remords, et effrayé de l’idée
que le roi de France et les seigneurs bretons ne tarderaient pas à
tirer une éclatante vengeance du meurtre du connétable, le duc
s’empressa-t-il d’appeler Bazvalan pour lui donner contre-ordre.
Bazvalan parut, affectant une contenance morne, et le duc lui ayant
demandé s’il avait exécuté ses ordres : « Monseigneur,
répondit Bazvalan, vous me le commandastes en telle instance que je
n’eusse osé y faillir ; c’est fait. » À ces mots Montfort
laisse éclater ses sanglots. « Hé Dieu ! s’écrie-t-il,
que m’est-il advenu ? Que ferai-je ? que fera mon pauvre
pays que je vois tant allumé en guerre ? Il me semble que je
vois déjà mes ennemis par les villes, et moi banni, exilé, à la
fuite en Angleterre, devers ceux que j’ai tant offensés, et de
grâce me suis fait leur ennemi. « … Clisson est-il bien
mort ? demanda-t-il une seconde fois. – Ouy, Monseigneur,
répliqua Bazvalan ; soubdain que j’ai entendu la mynuict, je
l’ay fait mettre au sac, et l’ayant tenu en l’eaue et noyé, je l’ay
fait lever, afin que le corps ne fust trouvé, et l’ay fait enterrer
auprès du château. » Le duc, entendant cette réponse, s’écria
douloureusement : « Aah ! Dieu mon créateur !
Aah ! messire Jehan, vecy un piteux resveille-matin !
Ah ! maudicte cholère ! où m’has-tu mené soubdainement,
et en moins, d’une heure ? Pleust à Dieu, Bazvalan, que je
vous eusse creu ; vous me conseilliez bien, et mon insensé
esprit ne vous peut pas croire ; je voy bien que je n’auray
jamais bien et seray tout le reste de mes jours en pauvreté et
mendicité ; et pleust à Dieu que je fusse le plus pauvre
gentilhomme de ce duché, et en seureté de ma personne. »
Bazvalan, à qui le duc intima l’ordre de ne
plus reparaître devant lui, se retira. Mais, démêlant dans tout ce
qu’il venait d’entendre, moins un remords réel que la crainte de
perdre la couronne de Bretagne, il voulut que l’épreuve fût
complète. Il épia donc le duc pendant toute la journée, et quand il
fut bien assuré du désespoir de son maître, il se représenta devant
lui et lui avoua sa désobéissance. Le duc, passant alors de l’excès
du désespoir à celui de la joie, se jeta au cou de Bazvalan,
l’embrassa à plusieurs reprises, et promit de le dignement
récompenser du service qu’il lui avait rendu.
Mais, comme l’avait pressenti Bazvalan, la
crainte, plus qu’un repentir réel, avait déterminé Montfort.
Incapable de générosité, dominé d’ailleurs par toutes ses mauvaises
passions, il ne consentit à relâcher son prisonnier qu’à beaux
deniers comptants. La rançon de Clisson fut fixée à cent mille
livres, et il lui fallut accepter un traité portant que les villes
et châteaux de Clisson, Josselin, Lamballe, Broons, Jugon, Blain,
Guingamp, La Roche-Derrien, Chatelaudren et Chateaugui, près Oudon,
seraient remis au duc dans les trois jours suivants, c’est-à-dire
les 28, 29 et 30 juin 1387, etc. Le traité du 27 juin contenait
encore beaucoup d’autres stipulations oppressives et humiliantes
pour le connétable.
Comme on le pense bien, Clisson n’aspirait
qu’à déchirer un traité si onéreux et si déloyalement extorqué. Il
se hâta de se rendre à Paris, et là, en plein conseil, il demanda
au roi que le duc perfide, rebelle et
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