Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
roi
Charles VI s’entretenait un jour avec les seigneurs de sa cour
des hautes vertus de Du Guesclin ; cette noble mémoire porta
dans leurs âmes un tel enthousiasme, que le roi se hâta d’ordonner
un service solennel à Saint-Denis en l’honneur du connétable. Il y
assista en personne, avec Olivier de Clisson et les seigneurs les
plus distingués du royaume, en habits de deuil. L’évêque d’Auxerre
officia et prononça la première oraison funèbre dont les voûtes
d’une église aient retenti ; son discours, simple comme la
vérité, mais grand comme le héros dont il rappelait le souvenir,
arracha des larmes à toute l’assistance.
Quand l’offrande ainsi fut passée,
L’évesque d’Auxerre prescha ;
Et fut mainte larme plorée
Des paroles qu’il recorda.
Car il conta comment l’épée (de
connétable)
Bertrand de Gloequin bien garda,
Et comme, en bataille rangée,
Pour France grand’peine endura.
Tous les princes fondoient en larmes
Des mots que l’évesque montroit :
Car il disoit : Plorez, gens d’armes.
Bertrand, qui tretous vous aimoit !
On doit regretter les fés d’armes
Qu’il fit au temps qu’il vivoit.
Diex ait pitié, sur toutes âmes,
De la sienne, car bonne estoit !
Jamais on ne vit rien de comparable à la
pompe, à la magnificence de cette cérémonie funèbre ; jamais
on ne rendit de si grands honneurs à la mémoire d’un guerrier.
Sur sa tombe on lisait l’inscription suivante,
remarquable par sa simplicité :
Cy-gist honorable homme et vaillant
messire Bertrand Claikin, comte de Longueville, jadis connétable de
France, qui trépassa l’an
MCCCLXXX,
le
XIII e
jour de juillet.
Cependant les Anglais, sous la conduite de
Buckingham, arrivés sur les frontières de la Bretagne, attendaient
des nouvelles du duc pour y entrer. Leur présence, coïncidant avec
la mort de Charles V, donna quelque inquiétude à Montfort, qui
balançait si au début d’un nouveau règne il devait faire la guerre
à la France, et s’aliéner par là Charles VI, qui dans la suite
pouvait lui être favorable ; mais, d’un autre côté, il lui
paraissait comme impossible de renvoyer les Anglais qu’il avait
mandés, et qui pour venir le joindre avaient traversé toute la
France. Dans cet embarras, il crut devoir consulter les seigneurs
bretons ; mais, en attendant qu’il eût pris son parti, il
envoya au-devant de Buckingham plusieurs gentilshommes pour lui
dire qu’il l’irait joindre incessamment à Rennes. Les députés
furent en même temps chargés d’avertir Buckingham que la Bretagne
n’était plus dans les mêmes dispositions que lorsqu’il était parti
d’Angleterre, et que les Nantais en particulier s’étaient déclarés
pour le roi de France.
Les Anglais, quatre jours après, se rendirent
à Rennes, qui leur ferma ses portes ; de sorte qu’ils furent
obligés de camper dans les faubourgs. Buckingham, Latimer, Knolle
et quelques seigneurs furent seuls logés dans la ville, où ils
attendirent plus de quinze jours le duc, qui était à Vannes, et
qui, par politique, différait de jour en jour de les aller trouver.
Buckingham, las de l’attendre vainement, fit marcher du côté de
Vannes mille hommes d’armes et les suivit avec le reste de son
armée. Le duc, informé de leur approche, se trouva alors dans la
nécessité d’aller au-devant d’eux. Pour s’excuser d’avoir tant
tardé à venir les joindre, il allégua le changement des Bretons à
son égard depuis qu’ils l’avaient rappelé d’Angleterre. « Je
vois bien que vos sujets ne sont pas à votre dévotion, dit
l’Anglais ; je vous amène de quoi châtier les rebelles et les
mettre à la raison : cela ne tient plus qu’à vous. »
Mais Montfort n’était pas assez certain du
succès pour combattre sans hésiter les Bretons avec les forces
anglaises. Il laissa Buckingham commencer tout seul le siège de
Nantes, qui fut vaillamment soutenu par Amaury de Clisson, Le
Barrois-Desbarres et tous les gentilshommes voisins. Montfort
cherchait vainement à lever des hommes : ses bans, ses
proclamations, ses supplications n’avaient plus le don d’émouvoir
ses sujets. Les seigneurs enfin fermèrent leurs places et leurs
châteaux aux partisans du duc, et déclarèrent que, s’il se rendait
au siège de Nantes, ils se lèveraient en masse et courraient sus à
ses soldats. Après deux mois et demi d’attaques infructueuses,
Buckingham se mit en marche vers la ville de
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