Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
réformateur. Cependant, au lieu de céder à leurs
clameurs séditieuses, Alexandre montra combien il estimait les services et le
mérite de Dion, en partageant avec lui le consulat, et en le défrayant sur son
trésor particulier, des dépenses qu’exigeait ce vain honneur. Mais comme on
avait tout lieu de craindre que, si le nouveau magistrat paraissait en public
revêtu des marques de sa dignité, cette vue ne ranimât la fureur des troupes il
quitta, à la persuasion de l’empereur, une ville où il n’exerçait qu’un pouvoir
idéal, et il passa la plus grande partie de son consulat [521] dans ses terres
en Campanie [522] .
La douceur du prince autorisait l’insolence des soldats.
Bientôt les légions imitèrent l’exemple des gardes, et soutinrent leurs droits
à la licence avec une opiniâtreté aussi violente. L’administration d’Alexandre
luttait en vain contre la corruption de son siècle. L’Illyrie, la Mauritanie,
l’Arménie, la Mésopotamie et la Germanie, voyaient tous les jours se former
dans leur sein de nouveaux orages. Les officiers de l’empereur étaient
massacrés ; on méprisait son autorité ; enfin il devint lui-même la
victime de l’animosité des troupes [523] .
Ces caractères intraitables se soumirent cependant une fois à l’obéissance, et
rentrèrent dans leur devoir. Ce fait particulier mérite d’être rapporté ; il
peut nous donner une idée des dispositions de l’armée. Durant le séjour que fit
Alexandre à Antioche, pendant son expédition contre les Perses, dont nous
parlerons bientôt, la punition de quelques soldats, surpris dans les bains des
femmes excita une révolte dans la légion à laquelle ils appartenaient. A cette
nouvelle, l’empereur monté sur son tribunal, et, avec une contenance ferme à la
fois et modeste, il représente à cette multitude armée sa résolution inflexible
et la nécessité absolue de corriger les vices introduits par son infâme prédécesseur,
et de maintenir la discipline, dont le relâchement entraînerait la ruine de
l’empire. Des clameurs interrompent ces douces représentations. Retenez vos
cris , dit aussitôt l’intrépide monarque ; vous n’étés pas en
présence du Perse, du Germain et du Sarmate. Gardez le silence devant votre
souverain, devant votre bienfaiteur, devant celui qui vous distribue le blé,
l’argent et les productions des provinces. Gardez le silence, sinon je ne vous
donnerai plus le nom de soldats ; je ne vous appellerai désormais que
bourgeois [524] ,
si même ceux qui foulent aux pieds les lois de Rome méritent d’être rangés dans
la dernière classe du peuple .
Ces menaces enflammèrent la fureur de la légion ; déjà
lés soldats tournent leurs armes contre sa personne. Votre courage , reprend
Alexandre d’un air encore plus fier, se déploierait bien plus noblement dans
un champ de bataille. Vous pouvez m’ôter la vie : n’espérez pas
m’intimider ; le glaive de la justice punirait, votre crime et vengerait ma
mort . Les cris redoublaient, lorsque l’empereur prononça à haute voix la
sentence décisive : Bourgeois, posez les armes, et que chacun de vous
se retire dans sa demeure .
La tempête fut à l’instant apaisée. Les soldats, consternés
et couverts de honte, reconnurent la justice de leur arrêt et le pouvoir de la
discipline, déposèrent leurs armes et leurs drapeaux, et se rendirent en
confusion, non dans leur camp, mais dans différentes auberges de la ville.
Alexandre eut le plaisir de contempler pendant trente jours leur
repentir ; et il ne les rétablit dans leur grade qu’après avoir puni du
dernier supplice les tribuns, dont la connivence avait occasionné la révolte.
La légion, pénétrée de reconnaissance, servit l’empereur tant qu’il vécut, et
le vengea après sa mort [525] .
En général, un moment décide des résolutions de la
multitude ; et le caprice de la passion pouvait également déterminer cette
légion séditieuse à déposer ses armes aux pieds de son maître, où à les plonger
dans son sein. Peut-être découvririons-nous les causes secrètes de l’intrépidité
du prince et de l’obéissance forcée des troupes, si le fait extraordinaire dont
nous venons de parler était soumis à l’examen d’un philosophe. D’un autre côté,
s’il eût été rapporté par un historien judicieux, cette action, que l’on a
jugée digne de César, se trouverait peut-être accompagnée de circonstances qui
la
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