Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
,
et la conduite perfide de Caracalla termina une conquête facile. Abgare,
dernier roi d’Édesse, fut envoyé à Rome chargé de fers ; son royaume fut
réduit en province, et sa capitale honorée du rang de colonie. Ainsi, dix ans
avant la chute des Parthes, les Romains avaient obtenu au-delà de l’Euphrate,
un établissement fixe et permanent [680] .
Lorsque Artaxerxés prit les armes, la gloire et la prudence
auraient put le justifier, s’il eût borne ses vues à l’acquisition ou à la
défense d’une frontière utile. Mais l’ambition lui avait tracé un plan de
conquête bien plus vaste, et il se persuada qu’il pouvait employer la raison,
aussi bien que la force, pour soutenir ses prétentions excessives. Cyrus était
le modèle qu’il se proposait d’imiter. Ce héros, disait-il dans son message à
l’empereur Alexandre Sévère, subjugua le premier toute l’Asie, et ses
successeurs en restèrent longtemps les maîtres. Leurs domaines touchaient à la
Propontide et à la mer Égée. Des satrapes gouvernaient en leur nom la Carie et
l’Ionie ; enfin toute l’Égypte, jusqu’aux confins de d’Éthiopie, reconnaissait
leur souveraineté [681] .
Leurs droits, ajoutait Artaxerxés, avaient été suspendus par une longue
usurpation, mais ils n’étaient pas détruits ; et du moment où la naissance
et le courage avaient placé la couronne sur sa tête, son premier devoir était
de rétablir la gloire et les limites de la monarchie persane. Le grand roi (tel
était le titre pompeux sous lequel il s’annonçait à l’empereur), le grand roi
ordonnait donc aux Romains de se retirer immédiatement des provinces où
régnaient autrefois ses ancêtres ; et, satisfaits de rester paisiblement
en possession de l’Europe, de céder aux Perses l’empire de l’Asie.
Quatre cents Perses, d’une beauté et d’une taille
remarquables, furent chargés de ce fier message. Ils s’efforcèrent, par de
superbes chevaux, par des armes magnifiques et par une suite brillante, de
déployer l’orgueil et la grandeur de leur maître [682] . Une pareille
ambassade était moins une offre de négociation, qu’une déclaration de guerre.
Les deux monarques rassemblèrent aussitôt toutes leurs forces ; et prirent le
parti de conduire leurs armées en personne.
Il existe encore un discours de l’empereur lui-même, qui fut
prononcé à cette occasion, dans le sénat. Si nous en croyons ce monument qui
semblerait devoir être authentique, la victoire d’Alexandre Sévère égala toutes
celles que le fils de Philippe avait autrefois remportées sur les Perses.
L’armée du grand roi était composée de cent vingt mille chevaux tout
enharnachés en airain, de dix huit cents chariots armés de faux, et de sept
cents éléphants qui portaient des tours remplies d’archers. Les annales de
l’Asie n’ont jamais présenté de description si pompeuse : à peine même les
Orientaux en ont-ils imaginé de semblables dans leurs romans [683] . Malgré ce
redoutable appareil, l’ennemi fut entièrement vaincu dans une grande bataille
où l’empereur romain développa tout le courage d’un soldat intrépide, et les
talents d’un général expérimenté. Le grand, roi prit la fuite. Un butin immense
et la conquête de la Mésopotamie furent les fruits de cette journée mémorable.
Telles sont les circonstances invraisemblables d’une relation dictée, selon
toutes les apparences, par la vanité du monarque, composée par de vils
flatteurs, et revue avec transport par un sénat que l’éloignement et l’esprit
d’adulation réduisaient au silence [684] .
Loin de penser que les armes d’Alexandre aient triomphé de la valeur des
Perses, perçons au travers du nuage qui nous dérobe la vérité : peut-être tout
cet éclat d’une gloire imaginaire cache-t-il quelque disgrâce réelle [685] .
Nos soupçons sont confirmés par l’autorité d’un historien
contemporain qui honore les vertus d’Alexandre et qui expose de bonne foi les
fautes de ce prince. Il trace d’abord le plan judicieux formé pour la conduite
de la guerre. Trois armées romaines devaient s’avancer par différents chemins,
et envahir la Perse dans le même temps : mais le talent et la fortune ne
secondèrent pas les opérations de la campagne, quoiqu’elles eussent été
sagement concertées dès que la première de ces armées se fut engagée dans les
plaines marécageuses de la Babylonie, vers le confluent artificiel du Tigre et
de
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