Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
assiégés. Le mauvais succès d’une dernière tentative
leur ôta toute espérance : Auréole rendit la ville, et fut forcé, de se
livrer à la discrétion du vainqueur. L’armée le déclara digne de mort ;
après une faible résistance, Claude consentit à l’exécution de la sentence. Les
sénateurs ne montrèrent pas moins de zèle pour leur nouveau souverain. Ils
ratifièrent peut-être avec des transports sincères, l’élection de Claude ;
et, comme son prédécesseur avait été leur ennemi personnel, ils exercèrent,
sous le voile de la justice, une vengeance sévère contré ses amis et contre sa
famille. Triste interprète des lois, le sénat eut la permission d’ordonner le
châtiment des coupables ; le prince se réserva le plaisir et le mérite
d’obtenir par son intercession une amnistie générale [934] .
De pareils actes de clémence pourraient paraître l’effet de
l’ostentation, et font moins connaître le véritable caractère de Claude, qu’une
circonstance peu importante en elle-même, ou ce prince sembla suivre les
mouvements de son propre cœur. Les fréquentes rebellions des provinces avaient
rendu presque tous les habitants coupables de lèse-majesté ; presque toutes les
propriétés avaient encouru la confiscation , et souvent Gallien avait déployé
sa libéralité en distribuant à ses officiers les dépouilles de ses sujets. A
l’avènement de Claude, une vieille femme se jeta à ses pieds, lui demandant
justice d’un général qui sous le dernier empereur, avait obtenu une concession
arbitraire de son patrimoine. Le général était Claude lui-même, dont la vertu
n’avait pas entièrement échappé à la contagion des temps. Le reproche fit
rougir le prince ; mais il méritait la confiance que cette infortunée mettait
dans son équité : l’aveu de sa faute fut accompagné d’une prompte
restitution et de dédommagements considérables [Zonare, XII] .
Clandé voulait rendre à l’empire son ancienne splendeur.
Pour exécuter une entreprise si difficile, il fallait d’abord réveiller dans
ses soldats un sentiment d’ordre et d’obéissance. Il leur représenta, avec
l’autorité d’un ancien général, que le relâchement de la discipline avait
introduit une foule de désordres dont les troupes elles-mêmes commençaient
enfin à sentir les pernicieux effets ; qu’un peuple ruiné par d’oppression
et devenu indolent par désespoir, ne pouvait plus fournir à de nombreuses
armées les moyens de se livrer à la débauche, ni même ceux de subsister ; que
le danger de chaque individu augmentait avec le despotisme de l’ordre
militaire. En effet , ajoutait-il, des princes qui tremblent sur le
trône, sont sans cesse portés à sacrifier la vie de tout sujet suspect .
L’empereur s’étendit, en outre, sur les suites funestes d’un caprice violent,
dont les soldats étaient les premières victimes, puisque leurs élections
séditieuses avaient été si souvent suivies de guerres civiles qui détruisaient
la fleur des légions, moissonnée dans les combats ; ou par l’abus cruel de
la victoire. Il peignit des plus vives couleurs l’épuisement des finances, la
désolation des provinces, la honte du nom romain, et le triomphe insolent des
Barbares avides. C’est contre ces Barbares , s’écriait-il, que je
prétends diriger les premiers efforts de vos armes. Que Tetricus règne pendant
quelque temps dans les provinces occidentales ; que Zénobie même conserve
la domination de l’Orient [935] . Ces usurpateurs sont mes ennemis personnels ; je ne songerai jamais à
venger des injures particulières qu’après avoir sauvé un empire prêt à
s’écrouler, et dont la ruine, si. nous ne nous hâtons de la prévenir, écrasera
l’armée et le peuple .
Les diverses tribus de la Germanie et de la Sarmatie, qui
combattaient sous les étendards des Goths, avaient déjà rassemblé un armement
plus formidable qu’aucun de ceux que l’on eût vus jusque là sortir du Pont-Euxin.
Sur les rives du Niester, un des grands fleuves qui se jettent dans cette mer,
ces Barbares construisirent une flotte de deux mille ou même de six mille
voiles [936] .
Ce nombre, tout incroyable qu’il paraît, n’aurait pu suffire pour transporter
leur prétendue armée de trois cent vingt mille hommes. Quelle qu’ait été la
force réelle des Goths, la vigueur de leurs efforts et le succès de leur
expédition ne répondirent pas à la grandeur de leurs
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