Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
par le fer et par le feu la ville impériale, le
plus noble prix de sa victoire, et dont la délivrance avait été le motif, ou
plutôt le prétexte de la guerre civile [1293] .
Ce fut avec un plaisir égal à sa surprise, qu’étant arrivé dans un lieu appelé Saxa-Rubra ,
à neuf milles environ de Rome [1294] ,
il aperçut Maxence et ses troupes disposées à livrer bataille [1295] . Le large front
de cette armée remplissait une plaine très spacieuse, et ses lignes profondes
s’étendaient jusqu’au bord du Tibre, qui couvrait l’arrière-garde, et lui
coupait la retraite. On assure, et nous pouvons le croire, que Constantin
rangea ses légions avec une habileté consommée, et qu’il choisit pour lui même
le poste du danger et de l’honneur. Distingué par l’éclat de ses armes, il
chargea en personne la cavalerie de son rival. Cette attaque terrible détermina
la fortune de cette journée mémorable. La cavalerie de Maxence consistait
principalement en une troupe légère de Maures et de Numides, et en cuirassiers
dont l’armure pesante arrêtait tous les mouvements. Elle fut obligée de céder à
l’impétuosité des cavaliers gaulois, qui, plus fermes que les Africains,
surpassaient en activité les autres escadrons. La défaite des deux ailes
laissait à découvert les flancs de l’infanterie. Les Italiens indisciplinés se
décidèrent sans peine à fuir loin des drapeaux d’un tyran qu’ils avaient
toujours détesté et qu’ils ne redoutaient plus. Les prétoriens, persuadés que
la grandeur de leur offense les rendait indignes du pardon, combattaient animés
par la vengeance et par le désespoir : malgré leurs efforts réitérés, ces
braves vétérans ne purent rappeler la victoire ; ils obtinrent cependant
une mort honorable, et l’on observe que leurs corps couvraient le même terrain
qui avait été occupé par leurs rangs [1296] .
La confusion devint alors générale. Incapables de se rallier, les soldats de
Maxence, poursuivis par un ennemi implacable, se précipitèrent par milliers
dans les eaux profondes et rapides du Tibre. L’empereur lui-même voulut se
sauver dans la ville par le pont Milvius, mais la multitude des fuyards qui se
pressaient en foule sur cet étroit passage, le fit tomber dans le fleuve, où,
embarrassé du poids de ses armes, il fut aussitôt noyé [1297] . Le lendemain
on eut peine à trouver son corps profondément enfoncé dans le limon. La vue de
sa tête, élevée au haut d’une pique, assura le peuple de sa délivrance. A ce
spectacle, les Romains reçurent avec les acclamations de la fidélité et de la
reconnaissance l’heureux Constantin, qui avait ainsi terminé, par ses talents
et par sa valeur, l’entreprise la plus éclatante de sa vie [1298] .
Si la clémence de ce prince après sa victoire ne mérite
point d’éloges, on ne saurait non plus lui reprocher une rigueur excessive [1299] . Il fit aux
vaincus le même traitement que sa personne et sa famille auraient éprouvé s’il
eût été défait. Les deux fils de Maxence furent mise mort, et l’on détruisit
soigneusement toute sa race. Il était naturel que les plus fidèles serviteurs
du tyran partageassent sa destinée comme ils avaient partagé sa prospérité et
ses crimes ; mais lorsque les Romains demandèrent à haute voix un plus
grand nombre de victimes, l’empereur sut résister avec force et avec humanité à
ces clameurs serviles, dictées par la flatterie aussi bien que par le
ressentiment : les délateurs furent punis et découragés ; ceux qu’une
injuste tyrannie avait condamnés à l’exil reparurent dans leur patrie, et leurs
biens leur furent rendus ; une amnistie générale tranquillisa l’esprit des
habitants, et assura leurs propriétés d’Italie et d’Afrique [1300] . La première
fois que Constantin honora le sénat de sa présence, il exposa, dans un discours
modeste, ses services, et ses exploits ; il exprima le respect le plus sincère
pour cette illustre assemblée, et lui promit de la rétablir dans sa première
dignité et ses anciennes prérogatives. Ces protestations furent payées des
vains titres d’honneur dont le sénat pouvait encore disposer sans prétendre
confirmer l’autorité de Constantin, il lui assigna, par un décret solennel, le
premier rang entre les trois Augustes qui gouvernaient l’univers romain [1301] . On institua
des jeux et des fêtes pour perpétuer le souvenir de cette victoire célèbre, et
plusieurs édifices
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