Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
opiniâtreté,
l’habileté des généraux devint moins nécessaire que le courage des soldats. Les
premiers rayons du soleil éclairèrent la victoire de Constantin ; il
aperçut la plaine couverte de plusieurs milliers d’Italiens vaincus. Leur
général Pompeianus fût trouva parmi les morts. Vérone se rendit aussitôt à
discrétion, et la garnison fut faite prisonnière de guerre [1287] . Lorsque les
officiers de l’armée victorieuse félicitèrent leur maître sur cet important
succès, ils mêlèrent à leurs félicitations quelques-uns de ces reproches
respectueux qui ne sauraient blesser le monarque le plus jaloux de son
autorité ; ils représentèrent à Constantin que, non content de remplir
tous les devoirs d’un commandant, il avait exposé sa personne avec une bravoure
dont l’excès dégénérait presque en témérité et ils le conjurèrent de veiller
désormais davantage à sa propre conservation, et de penser que de sa vie
dépendait la sûreté de Rome et de l’empire [ Panegyr. vet ., IX, 10.] .
Tandis que Constantin signalait sa valeur et son habileté
sur le champ de bataille, le souverain de l’Italie paraissait insensible aux
calamités et aux périls d’une guerre civile qui déchirait le sein de ses États.
Le plaisir était la seule occupation de Maxence. Cachant ou affectant de cacher
en public le mauvais succès de ses armes [1288] ,
il s’abandonnait à une vaine confiance qui, éloignait le remède du mal, sans
éloigner le mal lui-même [1289] .
Plongé dans une fatale sécurité, les progrès rapides de ses ennemis [1290] furent à peine
capables de l’en tirer. Il se flattait que sa réputation de libéralité, et la
majesté du nom romain, qui l’avaient déjà délivré de deux invasions,
dissiperaient avec la même facilité l’armée rebelle de la Gaule. Les officiers
habiles et expérimentés qui avaient servi sous les étendards de Maximien,
furent enfin forcés d’apprendre à son indigne fils le danger imminent où il se
trouvait réduit : s’exprimant avec une liberté qui l’étonna, et qui seule
pouvait le convaincre, ils lui représentèrent la nécessité de prévenir sa ruine
en développant avec vigueur les forces qui lui restaient. Les ressources de
Maxence en hommes et en argent étaient encore considérables. Les prétoriens
sentaient combien leur intérêt et leur sûreté se trouvaient fortement liés à la
cause de leur maître. On assembla bientôt une nouvelle armée, plus nombreuse
que celles qui avaient été ensevelies dans les champs de Turin et de Vérone.
L’empereur était loin de songer à prendre le commandement de ses groupes.
Totalement étranger aux travaux de la guerre, il tremblait de la seule idée
d’une lutte si dangereuse ; et, comme la crainte est ordinairement
superstitieuse, il écoutait avec une sombre inquiétude le rapport des augures,
et des présages qui semblaient menacer sa vie et son empire. Enfin, la honte
lui tint lieu de courage, et le força de paraître sur le champ de bataille. Ce
lâche tyran ne put supporter le mépris du peuple romain : partout le
cirque retentissait des clameurs de l’indignation ; la multitude
assiégeait tumultueusement les portes du palais, accusant la lâcheté d’un
prince indolent et célébrant le courage héroïque de son rival [1291] . Maxence, avant
de quitter, Rome, consulta les livres sibyllins. Si les gardiens de ces anciens
oracles, ignoraient les secrets du destin, du moins étaient-ils versés dans la
science du monde : ils rendirent une réponse très prudente, qui pouvait
s’adapter à l’événement et sauver leur réputation, quel que fût le sort des
armes [1292] .
On a comparé la célérité de la marche de Constantin à la
conquête rapide de l’Italie par le premier des Césars : ce parallèle
flatteur est assez conforme à la vérité de l’histoire, puisque, entre la
reddition de Vérone et la fin décisive de la guerre [28 octobre 312] , il
ne s’écoula que cinquante-huit jours. Constantin avait toujours appréhendé que
le tyran ne suivît les conseils de la crainte, peut-être même de la prudence,
et qu’au lieu d’exposer ses dernières espérances au risque d’une action
générale, il ne s’enfermât dans Rome : d’amples magasins auraient alors
rassuré Maxence contre les dangers de la famine ; et comme la situation de
Constantin ne souffrait aucun délai, il se serait peut-être vu réduit à la
triste nécessité de détruire
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