Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
prétoriens vont bientôt attirer fortement
toute notre attention ; mais nous ne voyons rien dans leurs armes et leurs
institutions qui les distinguât des légions ; seulement il paraît que leur
discipline était moins rigide et leur extérieur plus pompeux [78] .
La marine des empereurs répondait peu à la grandeur de
Rome ; mais elle suffisait pour remplir toutes les visées du gouvernement.
L’ambition des Romains ne s’étendait point au-delà du continent : ce peuple
guerrier n’était pas animé de cet esprit entreprenant des Tyriens, des
Carthaginois et des habitants de Marseille, qui avait porté ces hardis
navigateurs à reculer les bornes du monde, et à découvrir les côtés les plus
éloignées. L’Océan était plutôt pour les Romains un objet de terreur que de
curiosité [79] .
Après la ruine de Carthage et la destruction des pirates, toute l’étendue de la
Méditerranée se trouva renfermée dans leur empire. La politique des empereurs
n’avait pour but que de conserver en paix la souveraineté de cette mer, et de
protéger le commerce de leurs sujets. Guidé par ces principes de modération,
Auguste établit à demeure deux flottes dans les ports les plus commodes de
l’Italie : l’un à Ravenne, sur la mer Adriatique ; l’autre à Misène,
dans la baie de Naples. L’expérience semblait enfin avoir convaincu les anciens
que leurs galères lorsqu’elles excédaient deux ou tout au plus trois rangs de
rames, devenaient plus propres à une vaine pompe qu’à un service réel. Auguste
lui-même dans la bataille d’Actium, s’était aperçu de la supériorité de se
frégates légères, appelées liburniennes , sur les citadelles élevées et
massives de son rival [80] .
Ces liburniennes lui servirent à former les deux flottes de Ravenne et de
Misène, destinées à commander, l’une la partie orientale, l’autre l’occident de
la Méditerranée ; et à chacune de ces escadres il attacha un corps de
plusieurs milliers de marins. Outre ces deux ports, où les Romains avaient
établi la plus grande partie de leurs forces maritimes, ils entretenaient
encore un grand nombre de vaisseaux à Fréjus, sur les côtes de Provence. Le
Pont-Euxin était gardé par quarante voiles et par trois mille soldats. A toutes
ces forces, il faut ajouter la flotte qui assurait la communication entre la
Gaule et la Bretagne, et une infinité de bâtiments qui couvraient le Rhin et le
Danube, pour harasser les pays ennemis, et intercepter le passage des Barbares [81] . En récapitulant
cet état général des forces de l’empire sur mer et sur terre, tant des troupes
employées dans les légions, que des auxiliaires, des gardes du palais et de la
marine nous verrons que le nombre total des troupes n’excédait pas quatre cent
cinquante mille hommes. Quelque formidable que paraisse cette puissance, le
dernier siècle a vu avec étonnement des forces semblables entretenues par un
monarque dont les États étaient renfermés dans une seule province de l’empire
romain [82] .
Nous avons essayé de faire connaître et l’esprit de
modération qui mettait des bornes à la puissance d’Adrien et des Antonins, et
les forces qui servaient à la soutenir ; tâchons maintenant de décrire, avec
clarté et précision, ces mêmes provinces, réunies autrefois sous un seul chef,
et maintenant divisées en un si grand nombre d’États indépendants et ennemis
les uns des autres.
Située à l’extrémité de l’empire, de l’Europe et de l’ancien
monde, l’Espagne a conservé d’âge en âge ses limites naturelles : les monts
Pyrénées, la Méditerranée et l’océan Atlantique. Cette grande péninsule,
aujourd’hui partagée si inégalement entre deux souverains, avait été divisée
par Auguste en trois provinces : la Lusitanie, la Bétique et la
Tarragonaise. Les belliqueux Lusitaniens occupaient la contrée qui compose
aujourd’hui le royaume du Portugal : ce royaume a gagné vers le nord le terrain
qui lui avait été enlevé du côté de l’orient. La Grenade et l’Andalousie ont à
peu près les mêmes confins que l’ancienne Bétique ; le reste de l’Espagne,
la Galice, les Asturies, la Biscaye, la Navarre, le royaume de Léon, les deux
Castilles, la Murcie, le royaume de Valence, la Catalogne et l’Aragon,
formaient la troisième province romaine : c’était en même temps la plus
considérable, et on l’appelait Tarragonaise, du nom de sa capitale [83] . Parmi les
naturels du
Weitere Kostenlose Bücher