Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
exposés à l’injuste,
mais dangereuse accusation d’impiété. La malignité et le préjugé se réunirent
pour représenter les chrétiens comme une société d’athées, qui avaient osé
attaquer la constitution religieuse de l’empire, et dont l’audace méritait que
le magistrat civil sévit contre eux selon toute la rigueur des lois. Ils
s’étaient séparés (et ils se glorifiaient de l’avouer) de toutes les
superstitions adoptées dans les différentes parties du globe par le génie
inventif du polythéisme ; mais on ne voyait pas aussi évidemment, quelle
divinité ou quelle forme de culte ils avaient substituée aux dieu et aux
temples de l’antiquité. L’idée pure et sublime qu’ils se formaient de l’Être
suprême, échappait à l’intelligence grossière du peuple. La multitude des
païens ne pouvait concevoir, un dieu spirituel et unique, qui n’était
représenté sous aucune figure corporelle ni sous aucun symbole visible, et que
l’on n’adorait point avec la pompe ordinaire des libations et des fêtes, des
autels et des sacrifices [1568] .
La raison ou la vanité engageait les sages de la Grèce et de Rome, qui avaient
élevé leur esprit à la contemplation de l’existence et des attributs d’une
cause première ; à réserver pour eux-mêmes et pour leurs disciples choisis le
privilège de cette dévotion philosophique [1569] .
Ils étaient bien loin d’admettre les préjugés du genre humain comme la règle de
la vérité ; mais ils croyaient que ces préjugés tenaient à la disposition
primitive de notre nature ; et, selon eux toute forme de foi et de culte qui,
faite pour le peuple, prétendait n’avoir pas besoin de l’assistance des sens,
devait, à mesure qu’elle s’éloignait de la superstition, devenir plus incapable
de réprimer les écarts de l’imagination et les visions du fanatisme. Le coup
d’œil d’indifférence que les gens d’esprit et les savants daignaient jeter sur
la révélation chrétienne, ne servait qu’à les confirmer dans cette opinion,
précipitée ; ils se persuadaient que le principe d’unité divine, qui
aurait pu leur inspirer de la vénération, s’y trouvait dégradé par l’enthousiasme
extravagant des nouveaux sectaires, et anéanti par leurs spéculations
chimériques. Dans un célèbre dialogue attribué à Lucien, on affecte de tourner
en ridicule et de traiter avec mépris le dogme mystérieux de la Trinité. Cet
ouvrage prouve combien l’auteur connaissait peu la faiblesse de la raison
humaine et la nature impénétrable des perfections divines [1570] .
Il aurait paru moins surprenant que le fondateur du
christianisme eût été non seulement révéré par ses disciples comme un sage et
comme un prophète, mais encore adoré comme un dieu. Les polythéistes étaient
disposés à recevoir tout article de foi qui semblait se rapprocher de la
mythologie du peuple, quelque éloignée ou quelque imparfaite que fut la
ressemblance. Les légendes de Bacchus, d’Hercule et d’Esculape les avaient en
quelque façon préparés à voir paraître le fils de Dieu sous une forme humaine [1571] ; mais ils
s’étonnaient que les chrétiens abandonnassent les temples de ces anciens héros,
qui dans l’enfance du monde, avaient inventé les arts, établi des lois, et
vaincu les monstres ou les tyrans de la terre ; et qu’ils eussent choisi pour
objet exclusif de leur culte religieux un prédicateur obscur, qui, dans un
siècle moderne et chez un peuple barbare, avait été victime de la méchanceté de
ses compatriotes, ou des soupçons du gouvernement romain. La multitude des
idolâtres, sensible seulement aux avantages temporels, rejetait le présent
inestimable de la vie et de l’immortalité que Jésus de Nazareth offrait au
genre humain. Ces hommes charnels le voyaient sans renommée, sans empire ,sans
succès : et ils ne pensaient pas que de pareilles privations fussent
compensées par sa constance et par sa douceur au milieu des maux cruels qu’il
avait soufferts volontairement ; par sa bienveillance universelle, par la
simplicité sublime de ses actions et de son caractère ; et en même temps
qu’ils refusaient de reconnaître le triomphe étonnant du divin auteur de la
vraie religion sur les puissances des ténèbres et du tombeau, ils
représentaient sous de fausses couleurs, ou avec dérision sa naissance
équivoque, sa vie errante, et sa mort ignominieuse [1572] .
Un chrétien,
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