Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
nuit sont souillées par le commerce incestueux des frères et des sœurs,
des mères et de leurs fils [1578] .
Mais la lecture des anciennes apologies ne laissera pas même
le plus léger soupçon dans l’esprit d’un adversaire de bonde foi. Les
chrétiens, avec la sécurité intrépide de l’innocence, appelaient de ces bruits
vagues et populaires à l’équité des magistrats. Ils avouent que si l’on peut
prouver les crimes qui leur sont imputés par la calomnie, ils méritent les plus
sévères punitions : ils provoquent le châtiment, ils défient la preuve :
ils avancent en même temps, avec autant de raison que de vérité, que
l’accusation n’est pas moins dépourvue de probabilité que dénuée de
preuves : ils insistent sur la sainteté et sur la pureté de l’Évangile,
qui souvent met un frein aux plaisirs les plus légitimes. Peut-on croire
sérieusement , s’écrient-ils, que ces divins préceptes ordonnent la
pratique des crimes les plus atroces, qu’une grande société consente à se
déshonorer aux yeux de ses propres membres et qu’une foule de personnes de tout
état, de tout âge, de tout sexe, devenues tout à coup insensibles à la crainte
de la mort ou de l’infamie, osent violer les principes que la nature et
l’éducation ont imprimés si profondément dans leurs âmes ? [1579] Il eût été
impossible de répondre à cette justification, et rien ne pouvait en affaiblir
la force ou en détruire l’effet, que la conduite peu judicieuse des apologistes
eux-mêmes ; qui trahissaient la cause commune de la religion pour
satisfaire leur pieuse haine contre les ennemis domestiques de l’Église. Tantôt
ils insinuaient faiblement, tantôt ils soutenaient à haute voix que les
marcionites, les carpocratiens et les autres sectes des gnostiques, célébraient
réellement les mêmes sacrifices sanglants, les mêmes fêtes incestueuses, si
faussement attribués aux vrais fidèles ; cependant tous ces hérésiarques,
quoique égarés dans les sentiers de l’erreur pensaient toujours en hommes, et
se gouvernaient selon les préceptes du christianisme [1580] . Les
schismatiques faisaient retomber de pareilles accusations sur l’Église dont ils
avaient abandonné la communion [1581] ,
et l’on reconnaissait de tous côtés que la licence la plus scandaleuse régnait
parmi un grand nombre de ceux qui affectaient le nom de chrétiens. Un magistrat
idolâtre, qui n’avait ni le loisir ni le talent nécessaires pour discerner la
nuance presque imperceptible entre la foi orthodoxe et la dépravation hérétique
pouvait aisément imaginer qu’une animosité mutuelle leur avait arraché l’aveu
d’un crime commun. Heureusement pour le repos, ou du moins pour l’honneur des
premiers fidèles, les magistrats se conduisirent quelquefois avec une prudence
et une modération rarement compatibles avec le zèle religieux ; et le
résultat impartial de leurs recherches fut que les sectaires qui avaient
abandonné le culte établi leur paraissaient sincères dans leur croyance et
irréprochables dans leurs mœurs ; quoique d’un autre côté, par l’excès et
par l’absurdité de leur superstition, ils pussent encourir toute la rigueur des
lois [1582] .
L’histoire, qui entreprend de rapporter les événements
passés pour l’instruction des siècles futurs, serait indigné de cet honorable
emploi, si elle s’abaissait à plaider la cause des tyrans ou à justifier les
maximes de la persécution. Cependant, il faut l’avouer, la conduite des
empereurs qui parurent le moins favorables à la primitive Église, n’est
certainement pas aussi criminelle que celle des souverains modernes, qui ont
employé l’arme de la terreur et de la violence contre les opinions religieuses
d’une partie de leurs sujets. Un Charles-Quint et un Louis XIV pouvaient dans
leurs réflexions, ou même dans leur propre cœur, une juste idée des droits de
la conscience, de l’obligation de la foi et de l’innocence de l’erreur. Mais
les princes et les magistrats de l’ancienne Rome ne connaissaient point les
principes qui inspiraient et qui autorisaient l’opiniâtreté inflexible des
chrétiens dans la cause de la vérité, ils ne découvraient en eux-mêmes aucun
motif qui les eût portés à refuser une soumission légale, et pour ainsi dire
naturelle, aux institutions sacrées de la patrie. La même raison qui rend leur
conduite moins odieuse, contribua, selon toutes les apparences, à
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