Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
ralentir la
rigueur de leurs persécutions. Comme ils étaient animés, non par le zèle
furieux du fanatisme, mais par la politique modérée qui convenait à des
législateurs, le mépris dut souvent relâcher, et l’humanité suspendre
l’exécution des lois qu’ils avaient établies contre les humbles et obscurs
disciples de Jésus-Christ. Si l’on considère en général le caractère et les
motifs des empereurs on conclura naturellement : 1° qu’il dut s’écouler un
temps considérable avant que la nouvelle secte leur parut un objet digne de
l’attention du gouvernement ; qu’ils agirent avec précaution et avec
répugnance, quand il fut question de condamner ceux de leurs sujets qui avaient
été accusés d’un crime si extraordinaire ; 3° qu’ils furent modérés en
infligeant des punitions ; 4° que l’Église affligée goûta plusieurs
intervalles de paix et de tranquillité. Quoique les auteurs païens, qui ont
traité l’histoire de leur temps avec le plus d’étendue et avec les plus grands
détails, aient montré une extrême indifférence pour les affaires des chrétiens [1583] , nous pouvons
encore appuyer chacune de ces suppositions probables par des faits
authentiques.
I . La sagesse de la Providence jeta sur le berceau de
l’Église un voile mystérieux qui servit non seulement à défendre les chrétiens
de la malignité d’un monde idolâtre, mais encore à les dérober aux yeux des
profanes jusqu’à ce qu’ils eussent été multipliés, et que leur foi fût parvenue
à sa maturité. Les cérémonies de Moïse ne furent abolies, que lentement et par
degrés : tant qu’elles subsistèrent, les chrétiens trouvèrent un moyen sûr
et innocent d’échapper aux regards de leurs ennemis. Les plus anciens
prosélytes de l’Évangile, presque tous de la race d’Abraham, étaient
distingués, par la marque particulière de la circoncision. Ils offrirent leurs
vœux dans le temple de Jérusalem jusqu’à la ruine totale de cette ville, et ils
recevaient la loi et les écrits des prophètes comme les inspirations véritables
de la Divinité. Les païens convertis, qui, par une adoption spirituelle,
avaient été associés à l’espérance d’Israël, furent aussi confondus avec les
Juifs [1584] ;
et comme les polythéistes faisaient moins d’attention aux articles de foi qu’au
culte extérieur, la nouvelle secte, qui cachait avec soin, ou qui annonçait que
faiblement sa grandeur et son ambition futures, profita de la tolérance
universelle que les Romains accordaient depuis longtemps, à un peuple ancien et
célèbre de leur empire. Peut-être les Juifs plus jaloux de leur foi et animés
d’un zèle plus violent, ne tardèrent-ils pas à s’apercevoir que leurs frères
nazaréens se séparaient de plus en plus de la synagogue ; ils auraient
volontiers éteint cette hérésie dans le sang de ceux qui l’avaient embrassée.
Mais les décrets du ciel avaient déjà ôté toute arme à leur haine ; on
leur avait enlevé l’administration de la justice criminelle ; et
quoiqu’ils se portassent quelquefois à la sédition, il ne leur était pas facile
d’inspirer à l’esprit calme d’un magistrat romain l’aigreur de leur zèle et de
leurs préjugés. Les gouverneurs des provinces prêtaient l’oreille à toutes les
accusations qui pouvaient concerner la sûreté publique ; mais dès qu’ils
apprenaient qu’il s’agissait de mots, non de faits, et que l’on disputait
seulement sur l’interprétation des lois, et des prophéties juives ; une
discussion sérieuse des différends obscurs qui pouvaient s’élever au milieu
d’un peuple barbare et superstitieux leur paraissait indigne de la majesté de
Rome. L’ignorance et le mépris protégèrent l’innocence des premiers
chrétiens ; et le tribunal des magistrats idolâtres devint souvent leur
asile le plus assuré contre la fureur de la synagogue [1585] . Si nous
adoptions les traditions d’une antiquité trop crédule, nous pourrions rapporter
les longs voyages, les faits merveilleux, et les différents genres de mort des
douze apôtres ; mais des recherches plus exactes nous portent à douter
qu’il ait jamais été possible à aucun de ceux qui avaient vu les miracles de
Jésus-Christ, d’aller hors de la Palestine, sceller de leur sang [1586] la vérité de
leur témoignage [1587] .
Si l’on considère le terme ordinaire de la vie humaine, on présumera
naturellement que la plupart
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