Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
sentiment général des
peuples. Les habitants sollicitaient l’empereur de consulter les lois de la
justice, plutôt que les mouvements de sa clémence ; ils exprimaient leur
horreur pour les chrétiens, et suppliaient humblement que ces sectaires impies
fussent au moins exclus, des limites de leurs territoires respectifs. La
réponse de Maximin à la requête qui lui avait été adressée par les citoyens de
Tyr, existe encore. Il loue leur zèle et leur dévotion dans les termes les plus
magnifiques ; il s’étend sur l’impiété opiniâtre des chrétiens ; et la
facilité avec laquelle il consent à les bannir, prouve qu’il se regardait
plutôt comme recevant que comme accordant une faveur : il donna aux
prêtres aussi bien qu’aux magistrats le pouvoir d’exécuter dans toute leur
rigueur ses édits, qui furent gravés sur des tables d’airain et quoiqu’on leur
recommandât de ne point répandre le sang, les chrétiens rebelles éprouvèrent
les châtiments les plus cruels et les plus ignominieux [1758] .
Les chrétiens de l’Asie avaient tout à redouter d’un
monarque superstitieux, qui préparait ses actes de violence avec une politique
si réfléchie. Mais à peine quelques mois s’étaient-ils écoulés, que les édits
publiés par les deux empereurs d’occident obligèrent Maximin de suspendre
l’exécution de ses projets. La guerre civile qu’il entreprit, avec tant de
témérité contre Licinius, exigeait toute son attention. Enfin la défaite et la
mort de Maximin délivrèrent bientôt l’Église du dernier et du plus implacable
de ses ennemis [1759] .
Dans cet exposé général de la persécution que les édits de
Dioclétien avaient d’abord autorisée, j’ai omis à dessein le tableau des
souffrances particulières et de la mort des martyrs. Il m’aurait été facile de
tirer de l’histoire d’Eusèbe, des déclamations de Lactance et des plus anciens,
actes, une longue suite de peintures affreuses et révoltantes. J’aurais pu
parler avec étendue des chevalets et des fouets, des crochets de fer, des lits
embrasés, et de toute cette diversité de tourments que le fer et le feu, les
bêtes sauvages et des bourreaux plus sauvages encore, peuvent faire subir au
corps humain. Ces tristes scènes auraient pu être animées par une foule de
visions et de miracles destinés à retarder la mort des martyrs, à célébrer leur
triomphe, ou à découvrir les reliques des saints canonisés. Mais je ne peux
déterminer ce que je dois écrire, tandis que j’ignore ce que je dois croire [1760] . Un des plus
graves auteurs de l’histoire ecclésiastique, Eusèbe lui-même avoue
indirectement qu’il a rapporté tout ce qui pouvait ajouter à la gloire de
l’Église, et qu’il a supprimé tout ce qui pouvait tendre à la déshonorer [1761] . Une pareille
déclaration nous porte naturellement à soupçonner qu’un écrivain qui a violé si
ouvertement une des deux lois fondamentales de l’histoire, n’a pas observé
l’autre avec beaucoup d’exactitude ; et ce soupçon acquerra une nouvelle
force, si l’on considère le caractère d’Eusèbe ; moins crédule et plus versé
dans les intrigues de cour que la plupart de ses contemporains Dans quelques
occasions particulières, lorsque le magistrat avait été irrité par des motifs
de haine ou d’intérêt personnel ; lorsque le zèle faisait oublier aux
martyrs les règles de la prudence, et peut-être de la décence ; lorsqu’il
les portait à renverser les autels, à charger les empereurs d’imprécations, ou
à frapper le juge quand il était assis sur son tribunal ; vraisemblablement
alors on épuisait sur ces victimes dévouées tous les tourments que pouvait
inventer la cruauté, ou que pouvait braver la constance [1762] . Deux
circonstances cependant, imprudemment rapportées, donnent lieu de croire qu’en
général le traitement des chrétiens livrés à la justice n’a pas été aussi
intolérable qu’on l’imagine communément.
1° Les confesseurs condamnés aux mines, avaient, par un
effet de l’humanité ou de la négligence de leurs gardes, la permission de bâtir
des chapelles [1763] et de professer librement leur religion dans le fond de ces tristes demeures [1764] .
2° Les évêques étaient obligés de réprimer et de censurer le
zèle emporté de ceux qui se jetaient volontairement entre les mains des
magistrats. Parmi ces chrétiens, les uns perdus de dettes et accablés sous le
poids de la
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