Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
autels du Jupiter Libyen, ou de ceux du Jupiter Olympien, ou
de ceux du Jupiter qu’on adorait au Capitole [112] .
Il est difficile d’imaginer comment l’esprit de persécution
aurait pu s’introduire dans l’administration de l’empire : les magistrats ne
pouvaient se laisser entraîner par les prestiges d’un zèle aveugle bien que
sincère, puisqu’ils étaient eux-mêmes philosophes, et que l’école d’Athènes
avait donné des lois au sénat de Rome : ils ne pouvaient être guidés ni
par l’ambition ni par l’avarice dans un État où la juridiction ecclésiastique
était réunie à la puissance temporelle. Les plus illustres sénateurs
remplissaient les fonctions augustes du sacerdoce, et les souverains furent
constamment revêtus de la dignité de grand pontife. Ils reconnaissaient les
avantages d’une religion unie au gouvernement civil ; ils encourageaient
les fêtes publiques instituées pour adoucir les mœurs des peuples ; ils
sentaient combien l’art des augures était un instrument utile dans les mains de
la politique, et ils entretenaient, comme le plus solide lien de la société, cette
utile opinion, que, soit dans cette vie, soit dans l’autre, le crime de parjure
ne pouvait échapper au châtiment que lui réservait l’inévitable vengeance des
dieux [113] .
Persuadés ainsi des avantages généraux de la religion, ils croyaient que les
différentes espèces de culte contribuaient également au bonheur de l’empire :
des institutions consacrées dans chaque pays par le temps et par l’expérience,
leur paraissaient pouvoir seules convenir au climat et aux habitants. Il est
vrai que les statues des dieux et les ornements des temples devenaient souvent
la proie de l’avarice et de la cupidité [114] ;
mais les nations vaincues. éprouvaient, dans l’exercice de la religion de leurs
ancêtres, l’indulgence et même la protection des vainqueurs. La Gaule seule
semble avoir été exceptée de cette tolérance universelle : sous le
prétexte spécieux d’abolir les sacrifices humains, Tibère et Claude
détruisirent l’autorité dangereuse des druides [115] ; mais ces
prêtres, leurs dieux et leurs autels, subsistèrent en paix dans l’obscurité
jusqu’à la destruction du paganisme [116] .
Rome était, sans cesse remplie d’étrangers qui se rendaient
en foule de toutes les parties du monde dans cette capitale de l’empire [117] , et qui tous y
introduisaient et y pratiquaient les superstitions de leur patrie [118] . Chaque ville
avait le droit de maintenir son ancien culte dans sa pureté : le sénat
romain usait quelquefois de ce privilège commun pour opposer une digue à
l’inondation de tant de cérémonies ridicules. De toutes les religions, celle
des Égyptiens était la plus vile et la plus méprisable ; aussi l’exercice
en fut-il souvent défendu : on démolissait les temples d’Isis et de
Sérapis, et leurs adorateurs étaient bannis de Rome et de l’Italie [119] . Mais que
peuvent les faibles efforts de la politique contre le zèle ardent du
fanatisme ? Bientôt les exilés reparaissaient ; on voyait s’augmenter
en même temps le nombre des prosélytes ; les temples étaient rebâtis avec
encore plus de magnificence ; enfin Isis et Sérapis prirent place parmi
les divinités romaines [120] .
Cette indulgence n’avait rien de contraire aux anciennes maximes du
gouvernement. Dans les plus beaux siècles de la république, Cybèle et Esculape
avaient été invités par des ambassades solennelles [121] , à venir prendre
séance dans le Capitole ; et, pour séduire les divinités tutélaires des
villes assiégées, on avait coutume de leur promettre des honneurs plus
distingués que ceux dont elles jouissaient dans leur patrie [122] . Insensiblement
Rome devint le temple général de ses sujets, et le droit de bourgeoisie fut accordé
à tous les dieux de l’univers [123] .
II . Les anciennes républiques de la Grèce avaient cru
devoir conserver sans aucun mélange le sang de leurs premiers citoyens :
cette fausse politique arrêta la fortune et hâta la ruine d’Athènes et de
Lacédémone ; mais le génie entreprenant de Rome sacrifia l’orgueil à
l’ambition, il jugea plus prudent et plus honorable à la fois d’adopter pour
siens le mérite et la vertu partout où il les pourrait découvrir, fût-ce parmi
les esclaves, les étrangers, les ennemis ou les Barbares [124] . Durant l’époque
la plus florissante de la
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