Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
dont elle a
reçu la loi dans presque toutes les révolutions de l’histoire. Un préfet romain
occupait le trône pompeux des Ptolémées ; maintenant le sceptre de fer des
Mameluks est entre les mains d’un pacha turc. Le Nil arrose cette contrée dans
un espace de deux cents lieues, depuis le tropique du Cancer jusqu’à la
Méditerranée : les inondations périodiques de ce fleuve font toute la
richesse du pays, et leur élévation en est la mesure. Cyrène, située vers
l’occident et sur la côte de la mer, avait été d’abord une colonie,
grecque ; elle devint ensuite une province d’Égypte : elle est
aujourd’hui ensevelie dans les déserts de Barca [100] .
De Cyrène jusqu’à l’Océan, la côte d’Afrique a plus de
quinze cents milles de long ; elle est cependant si resserrée entre la
Méditerranée et les déserts de Sahara, que sa largeur excédé rarement cent
milles. C’était à la partie orientale, que les Romains avaient principalement
donné le nom de province d’Afrique. Avant l’arrivée des colonies phéniciennes,
cette fertile contrée était habitée par les Libyens, les plus sauvages de tous
les peuples de la terre : elle devint le centre d’un commerce et d’un empire
très étendus, lorsqu’elle fut gouvernée par les Carthaginois. Les faibles États
de Tunis et de Tripoli se sont élevés sur les ruines de cette république
fameuse. Le royaume de Massinissa et de Jugurtha est soumis à la puissance
militaire des Algériens. Du temps d’Auguste, les limites de la Numidie avaient
été fort resserrées, et les deux tiers au moins de cette contrée avaient pris
le nom de Mauritanie césarienne. La véritable Mauritanie, ou la patrie des
Maures, s’appelait Tingitane, de l’ancienne ville de Tingi ou Tangier :
elle formé aujourd’hui le royaume de Fez. Salé sur l’Océan, cette retraite de
pirates était la dernière ville de l’empire romain. Les connaissances
géographiques des anciens s’étendaient à peine au-delà. On aperçoit, encore des
vestiges d’une cité romaine, près de Mequinez, résidence d’un Barbare que nous
voulons bien appeler l’empereur du Maroc : mais il ne paraît pas que les États
méridionaux de ce monarque, ni même Maroc et Ségelmessa, aient jamais été
compris dans la province romaine. L’occident de l’Afrique est coupé par différentes
chaînes du mont Atlas, nom devenu célèbre par lés fictions des poètes [101] , mais que l’on
donne maintenant à l’immense océan qui roule ses eaux entre le Nouveau Monde et
l’ancien continent [102] .
Après avoir parcouru toutes les provinces de l’empire
romain, nous pouvons observer que l’Afrique est séparée de l’Espagne par un
détroit de douze milles environ, qui sert de communication à la Méditerranée
avec la mer Atlantique. Les colonnes d’Hercule, si fameuses parmi les anciens,
étaient deux montagnes qui paraissent avoir été séparées avec violence dans
quelque convulsion de la nature. La. forteresse de Gibraltar est bâtie au pied
de celle qui est située en Europe. Toute la Méditerranée, ses côtes et ses îles
étaient renfermées dans les vastes domaines de l’empire. Des grandes îles, les
Baléares, aujourd’hui Majorque et Minorque, ainsi nommées à cause de leur
étendue respective, appartiennent, l’une aux Espagnols, et l’autre à la
Grande-Bretagne. Il serait plus facile de déplorer le sort des Corses, que de
décrire leur condition actuelle. La Sardaigne et la Sicile ont été érigées en
royaumes en faveur de deux princes d’Italie. Crète ou Candie, Chypre, et la
plupart des petites îles de la Grèce ou de l’Asie, obéissent aux Turcs tandis
que le petit rocher de Malte brave toute la puissance ottomane, et est devenu
un pays riche, célèbre, sous le gouvernement d’un ordre religieux et militaire.
Cette longue énumération des provinces d’un empire dont les
débris ont formé tant de royaumes si puissants, rendrait presque excusable à
nos yeux, la vanité ou l’ignorance des anciens. Éblouis par l’immense
domination, la puissance irrésistible, la modération réelle ou affectée des
empereurs, ils se croyaient permis de mépriser ces contrées éloignées, qu’ils
avaient laissées jouir d’une indépendance barbare ; souvent même ils
affectaient d’en méconnaître le nom : insensiblement ils s’accoutumèrent à
confondre la monarchie romaine avec le globe de la terre [103] . Mais ces
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