Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
république d’Athènes, trente mille [125] citoyens furent
insensiblement réduits au nombre de vingt et un mille [126] . Rome nous
présente dans ses accroissements un tableau bien différent : le premier cens de
Servius Tullius ne se montait qu’à quatre vingt-trois mille citoyens ; ce
nombre s’augmenta rapidement, malgré les guerres perpétuelles et les colonies
que l’on envoyait souvent au-dehors : enfin, avant la guerre des alliés,
on comptait quatre cent soixante-trois mille citoyens en état de porter les
armes [127] .
Les alliés demandèrent avec hauteur à être compris dans la distribution des
honneurs et des privilèges, mais le sénat aima mieux recourir aux armes que de
se déshonorer par une concession forcée. Les Samnites et les Lucaniens furent
punis sévèrement de leur témérité. La république ouvrit son sein aux autres
États de l’Italie, à mesure qu’ils rentrèrent dans leur devoir [128] , et bientôt la
liberté publique fut anéantie. Dans un gouvernement démocratique, les citoyens
exercent l’autorité souveraine : entre les mains d’une multitude immense,
incapable de suivre la même direction, cette autorité est une source d’abus, et
finit par s’évanouir. Mais lorsque les empereurs eurent supprimé les assembles
populaires, les vainqueurs se trouvèrent confondus avec les autres nations ;
seulement ils tenaient le premier rang parmi les sujets. Leur accroissement,
quoique rapide, n’était plus accompagné des mêmes dangers ; cependant, les
princes qui adoptèrent les sages maximes d’Auguste maintinrent avec le plus
grand soin la dignité du nom romain, et ils furent très réservés à accorder le
droit de cité [129] .
Avant que les privilèges des Romains se fussent étendus à
tous les habitants de l’empire, l’Italie, bien différente des autres provinces,
était le centre du gouvernement et la base la plus solide de la
constitution : elle se vantait d’être le berceau, ou du moins la résidence
des sénateurs et des Césars [130] .
Les terres des Italiens étaient exemptes d’impositions, et leurs personnes, de
la juridiction arbitraire des gouverneurs. Formées d’après le modèle parfait de
la capitale, leurs villes jouissaient de la puissance exécutive sous
l’inspection immédiate de l’autorité souveraine. Depuis les Alpes jusqu’à
l’extrémité de la Calabre, les naturels du pays naissaient tous citoyens de
Rome. Ils avaient oublié leurs anciennes divisions, et insensiblement ils
étaient parvenus à former une grande nation, réunie par la langue, les mœurs et
les institutions civiles, et capable de soutenir le poids d’un puissant empire.
La république se glorifiait de cette noble politique ; elle en était souvent
récompensée par le mérite et les services des enfants qu’elle avait adoptés. Si
la distinction du nom romain renfermée dans les murs de la ville, n’eût été le
partage que des anciennes familles, ce nom immortel aurait été privé de ses
plus riches ornements. Mantoue est devenue célèbre par la naissance de Virgile.
Horace ne sait s’il doit être appelé Lucanien ou citoyen de l’Apulie. Ce fût à
Padoue que le peuple romain trouva un historien digne de retracer la suite
majestueuse de ses triomphes. Les Catons étaient venus de Tusculum déployer
dans Rome toutes les vertus du patriotisme ; et la petite ville d’Arpinum eut
l’honneur d’avoir produit deux illustres citoyens : Marius, qui mérita,
après Romulus et Camille, le titre glorieux de fondateur de Rome ; et
Cicéron, qui, arrachant sa patrie aux fureurs de Catilina, la mit en état de
disputer à la Grèce la palme de l’éloquence [131] .
Les provinces de l’empire, dont nous avons déjà donné la
description, étaient dépourvues de toute force politique et de tous les
avantages d’une liberté constitutionnelle. Dans la Grèce [132] , en Étrurie et
dans la Gaule [133] ,
le premier soin du sénat fut de détruire des confédérations dangereuses et capables
d’apprendre à l’univers que si les Romains avaient su profiter de la division
de leurs ennemis, l’union pouvait arrêter les progrès de leurs armes. Souvent
leur ambition prenait le masque de la générosité ou de la reconnaissance. Des
souverains devaient, pendant quelque temps, leurs sceptres à ces fausses
vertus ; mais aussitôt qu’ils avaient rempli la tâche qui leur avait été
imposée, de façonner au joug les nations vaincues, ils
Weitere Kostenlose Bücher