Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
femmes et de leurs enfants, pour
apprendre de la bouche de l’empereur le sort qu’il leur réservait. Après avoir
fait l’éloge de sa propre clémence, qui le portait à pardonner leurs crimes
multipliés, et à sauver les restes d’une nation coupable, Constance leur
assigna pour exil un pays éloigné, où ils auraient pu jouir d’un repos
honorable. Les Limigantes obéirent avec répugnance, et, avant d’avoir atteint à
cette nouvelle patrie, ils revinrent sur les bords du Danube, déplorèrent le
malheur de leur situation, et conjurèrent l’empereur en lui jurant une fidélité
à toute épreuve, de leur accorder une habitation tranquille dans quelque canton
d’une province romaine. Constance, oubliant les preuves récentes de leur
perfidie, écouta ses flatteurs qui s’empressèrent de lui représenter l’avantage
qu’il tirerait d’une colonie de soldats, dans un temps où les sujets de
l’empire accordaient plus facilement des contributions d’argent que des
services militaires. On permit aux Limigantes de passer le Danube, et
l’empereur leur donna audience dans une vaste plaine près du lieu où est situé
Bude. Ils entourèrent son tribunal ; et tandis qu’ils semblaient écouter avec
respect un discours rempli de douceur et de dignité, un des Barbares, lançant
en l’air une de ses sandales, cria d’une voix terrible : Marha ! marha ! cri de guerre et d’alerte qui fut le signal de la plus horrible confusion. Les
Barbares s’élancèrent avec violence pour enlever l’empereur. Son trône et son
lit d’or furent pillés par leurs mains grossières, mais la courageuse fidélité
de ses gardes, qui reçurent la mort à ses pieds, lui donna le temps d’échapper
de cette sanglante mêlée, et de s’éloigner rapidement sur un de ses meilleurs
coursiers. Le nombre et la discipline des Romains tirèrent une prompte
vengeance de l’affront que leur avait fait essuyer cette trahison ; le combat
ne fut terminé que par l’extinction du nom et de la nation des Limigantes. On
remit les Sarmates errants en possession de leurs anciennes terres. Constance,
quoique leur caractère léger lui inspirât peu de confiance, espéra que le
sentiment de là reconnaissance pourrait avoir quelque influence sur leur
conduite future ; il avait remarqué la taille avantageuse et la conduite
respectueuse de Zizais, un de leurs chefs les plus distingués, et il le fit roi
des Sarmates. Zizais prouva par son inviolable attachement pour l’empereur
qu’il était digne de son choix ; et Constance après ce succès, fut surnommé le
Sarmatique, aux acclamations de son armée victorieuse [2124] .
Tandis que l’empereur romain et le monarque persan
défendaient, à trois mille milles l’un de l’autre, les limites de leurs États
contre les Barbares des rives du Danube et de l’Oxus, leurs confins
intermédiaires étaient exposés aux vicissitudes d’une guerre languissante, et
d’une trêve précaire. Deux des ministres orientaux de Constance, le préfet du
prétoire Musonien, dont les talents étaient flétris par la fausseté et le
défaut d’intégrité, et Cassien, duc de Mésopotamie, vétéran intrépide,
entamèrent secrètement une négociation avec le satrape Tamsapor [2125] . Ces ouvertures
de paix traduites en langue persane, et rédigées dans le style flatteur et
servile de l’Asie, furent portés dans le camp du grand roi, qui résolut de
faire savoir aux romains, par un ambassadeur, les conditions qu’il daignait
leur accorder. Narsès, qu’il revêtit de ce caractère, reçût toutes sortes
d’honneurs dans le cours de son voyage depuis Antioche jusqu’à Constantinople.
Arrivé à Sirmium après une longue route, il reçut sa première audience, et
développa respectueusement le voile de soie qui couvrait la lettre hautaine de
son souverain. Sapor, roi des rois, frère du Soleil et de la Lune (tels étaient
les titres pompeux affectés par la vanité orientale), félicitait son frère
Constance César de ce qu’il avait puisé de la sagesse dans l’adversité. Comme
légitime successeur de Darius Hystaspes, Sapor déclarait que la rivière de
Strymon en Macédoine était l’ancienne et véritable borne de son empire, mais
que telle était sa modération, qu’il se contenterait des provinces d’Arménie et
de Mésopotamie, qu’on avait frauduleusement enlevées à ses ancêtres :
ajoutant que sans cette restitution il était impossible d’établir une paix
solide entre
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